3 Juillet 2009 | Pierre-Olivier Arduin*
Lancés dans la discrétion début février, les états généraux de la bioéthique ont conclu leurs travaux à Paris le 23 juin. Le rapport des « jurys citoyens » devrait peser lourdement sur les débats parlementaires à venir.
En vue de préparer l’échéance de la révision de la loi de bioéthique du 6 août 2004, le chef de l’État a souhaité dés le début de son mandat que les citoyens français soient associés à la réflexion collective. La ministre de la Santé Roselyne Bachelot inaugurait ainsi en février dernier le fameux site Internet participatif www.etatsgenerauxdelabioethique.fr dont elle confiait l’animation à l’Agence de biomédecine.
En juin se sont tenus en outre trois forums régionaux citoyens dont la fonction était de revisiter les grands champs de la législation : la recherche sur l’embryon et la question de l’eugénisme à Marseille, la gestation pour autrui (autrement dit les mères porteuses) et l’assistance médicale à la procréation à Rennes, enfin la problématique du don d’organes et la médecine prédictive à Strasbourg. Dernier aspect témoignant de la fièvre bioéthique qui s’est emparé de notre pays et qui a contribué à rythmer fortement ces cinq mois de délibération : la mise en place sur le terrain d’une multitude de rencontres et de colloques parrainés par le site officiel des états généraux.
Changement radicalPrésentés comme les différents aspects d’une authentique éthique de la discussion, les trois méthodes choisies par le gouvernement dont Jean Leonetti, le président du comité de pilotage des états généraux, a précisé qu’il fallait les voir comme « complémentaires l’une de l’autre [1] » n’appellent cependant pas les mêmes commentaires.
Dans un prochain article, nous reviendrons plus précisément sur l’analyse que l’on peut faire du triptyque qui a consisté à offrir aux Français un espace d’expression via le site participatif géré par l’Agence, à faciliter l’organisation de plus de 220 rencontres sur le territoire national sans oublier les travaux novateurs de la mission d’information parlementaire dans sa conduite des auditions d’experts invités à s’exprimer à l’Assemblée nationale. Autant de points positifs qui témoignent d’un changement radical par rapport à l’élaboration des premières lois de bioéthique votées dans un « silence assourdissant » pour reprendre la formule heureuse du cardinal Barbarin. Ces différents volets nous semblent d’ailleurs relever véritablement de l’éthique de la discussion telle qu’elle a été rigoureusement théorisée par le philosophe allemand Jürgen Habermas. N’en disons pas plus pour l’instant.
Dans le cadre de cet article, nous voudrions nous pencher exclusivement sur ce nouvel outil de « démocratie participative » qu’ont représenté les forums citoyens. En particulier voudrions-nous émettre quelques réserves quant au concept de jurys citoyens qui semble être devenu pour certains l’horizon indépassable d’une bioéthique moderne et décomplexée.
En juin se sont tenus en outre trois forums régionaux citoyens dont la fonction était de revisiter les grands champs de la législation : la recherche sur l’embryon et la question de l’eugénisme à Marseille, la gestation pour autrui (autrement dit les mères porteuses) et l’assistance médicale à la procréation à Rennes, enfin la problématique du don d’organes et la médecine prédictive à Strasbourg. Dernier aspect témoignant de la fièvre bioéthique qui s’est emparé de notre pays et qui a contribué à rythmer fortement ces cinq mois de délibération : la mise en place sur le terrain d’une multitude de rencontres et de colloques parrainés par le site officiel des états généraux.
Changement radicalPrésentés comme les différents aspects d’une authentique éthique de la discussion, les trois méthodes choisies par le gouvernement dont Jean Leonetti, le président du comité de pilotage des états généraux, a précisé qu’il fallait les voir comme « complémentaires l’une de l’autre [1] » n’appellent cependant pas les mêmes commentaires.
Dans un prochain article, nous reviendrons plus précisément sur l’analyse que l’on peut faire du triptyque qui a consisté à offrir aux Français un espace d’expression via le site participatif géré par l’Agence, à faciliter l’organisation de plus de 220 rencontres sur le territoire national sans oublier les travaux novateurs de la mission d’information parlementaire dans sa conduite des auditions d’experts invités à s’exprimer à l’Assemblée nationale. Autant de points positifs qui témoignent d’un changement radical par rapport à l’élaboration des premières lois de bioéthique votées dans un « silence assourdissant » pour reprendre la formule heureuse du cardinal Barbarin. Ces différents volets nous semblent d’ailleurs relever véritablement de l’éthique de la discussion telle qu’elle a été rigoureusement théorisée par le philosophe allemand Jürgen Habermas. N’en disons pas plus pour l’instant.
Dans le cadre de cet article, nous voudrions nous pencher exclusivement sur ce nouvel outil de « démocratie participative » qu’ont représenté les forums citoyens. En particulier voudrions-nous émettre quelques réserves quant au concept de jurys citoyens qui semble être devenu pour certains l’horizon indépassable d’une bioéthique moderne et décomplexée.
Démocratie participativeAu centre d’un concert de louange presque unanime, cette méthode de consultation publique est incontestablement une première dans notre pays. Recrutées par l’Ifop selon la méthode des quotas afin de représenter les populations de leurs régions respectives (Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Bretagne, Alsace), la quinzaine de personnes composant chaque jury citoyen a bénéficié d’une formation accélérée durant deux week-ends. Voulus comme neutres et objectifs, les exposés donnés à huis clos par des spécialistes soigneusement choisis pour leurs compétences étaient pour ces Français le premier contact avec les questions complexes posées par la réécriture de la loi. Éducatrice, mère de famille, étudiant, commerçant, retraité de la fonction publique, cuisinier,… les panélistes, comme on les appelle désormais, reconnaissent n’avoir guère eu l’occasion de réfléchir à ces sujets avant d’être sélectionnés, ce qui était d’ailleurs un des critères fondamentaux de désignation.
À l’issue de cette information, suivaient les trois grandes réunions publiques qui ont émaillé le mois de juin. Les jurés avaient préparé des questions à poser aux experts, les fameux grands témoins, convoqués tout autant pour leur professionnalisme que pour leurs convictions divergentes, et ce dans un souci d’équilibre et d’équité des débats. Avant de s’enfermer la journée suivante pour rédiger leurs recommandations figurant en bonne place dans le rapport très attendu des états généraux. Que penser de cette démarche présentée partout comme le nec plus ultra de la démocratie citoyenne et participative ?
Un problème de la compétenceOn a pu dire que les experts qui ont délivré la formation pouvaient orienter délibérément leur propos pour manipuler les jurés. Si ce risque n’est par définition jamais totalement absent dès lors qu’il y a transmission d’un savoir quel qu’il soit entre une personne qui sait et une personne inexpérimentée, nous pouvons cependant honnêtement convenir que d’une manière générale, les spécialistes nommés avaient toutes les qualités requises pour répondre avec sérieux à ce qui leur était demandé et éviter toute attitude d’emprise ou de domination sur les citoyens qu’ils avaient en face d’eux.
Quant au collège de grands témoins siégeant lors des journées publiques régionales, on peut être légitimement satisfait de leur composition équilibrée. A Rennes par exemple, Geneviève Delaisi de Perceval, psychanalyste militante de la cause des mères porteuses affrontait sur ce terrain Sylviane Agacinski, une des voix les plus fortes aujourd’hui en France pour s’y opposer. Philippe Menasché à Marseille, impliqué dans des programmes de recherche sur l’embryon avait à ses côtés Jacques Testard qui a redit tout le mal qu’il pensait de ces études. Nos doutes ne se situent donc pas de ce côté.
Sans aucunement leur faire injure, comment penser que de simple profanes en la matière puissent remettre après quelques heures d’information des avis éclairés sensés représenter l’opinion publique française sur des thèmes aussi compliqués que la recherche sur l’embryon ou le don d’organes ? C’est bien là que le bât blesse. Certains ont proposé d’ailleurs que la formation s’étale sur une année comme dans les pays scandinaves qui mettent en œuvre cette pratique depuis plusieurs années. Oui, mais les autorités ne feraient-elles pas de ces citoyens de nouveaux experts ? Or, c’est justement cela que le comité de pilotage voulait éviter. Il s’agissait bien ici de donner la parole à monsieur-tout-le-monde pour que le débat ne soit pas confisqué par les spécialistes, expression qui a été déclinée sur tous les tons pendant la durée des états généraux. Rappelons que les nations du nord de l’Europe tirent au sort des citoyens volontaires en équilibrant en amont l’agencement du panel : ils considèrent en effet qu’il n’existe pas de citoyens qui seraient des terres vierges sur le plan éthique mais que chacun a intériorisé des normes sociales spécifiques qui entreront en collusion avec celles des autres.
Bien sûr, on peut se féliciter que les panélistes aient rejeté avec force la légalisation de la gestation pour autrui ou l’ouverture des techniques d’AMP aux couples homosexuels. Cela étant, même sur ce dernier point, la position avancée par les citoyens ne dissipe pas complètement toute inquiétude. Alain Graf, rapporteur général des états généraux, a précisé dans la synthèse qu’il a donnée le 23 juin que les jurés de Rennes, s’ils avaient opté pour que l’AMP reste une réponse médicale en la réservant à des couples hétérosexuels infertiles, s’étaient prononcés également à l’unanimité en faveur de l’homoparentalité au nom du principe de non discrimination. On mesure ainsi la fragilité du raisonnement : une fois que le législateur aura accédé aux revendications d’adoption par des couples homosexuels, il sera très difficile de ne pas satisfaire leurs désirs de bénéficier des méthodes d’AMP au même titre que les couples hétérosexuels, au nom justement du principe d’égalité et de non-discrimination !
La dictature des bons sentimentsLors du Forum de Marseille, de nombreux participants dans la salle, en grande majorité initiés aux enjeux bioéthiques si l’on en croit les qualifications de l’auditoire fournies par le comité d’organisation, ont exprimé une certaine déception tant la persistance d’importantes lacunes était palpable chez des jurés sensés définir le nouveau régime législatif de la recherche sur l’embryon. Un panéliste a pu résumer ainsi le degré de réflexion du jury par un raccourci saisissant : pourquoi les couples qui ont bénéficié des bons et loyaux services des scientifiques pour donner satisfaction à leur désir d’enfant ne leur offriraient pas en retour les embryons dont ils ne veulent plus lorsque tout projet parental s’est éteint ? Pas un seul spécialiste, même très favorable à la recherche embryonnaire, n’avait jusqu’ici osé proférer un tel raisonnement. Il a fallu que certains des grands témoins présents rappellent que l’embryon n’était pas une chose dont on pouvait se débarrasser aussi facilement.
Dans le même ordre d’idée, l’Agence d’information Genethique a souligné combien les cellules iPS avaient été les grandes oubliées de cette réunion publique alors même qu’elles révolutionnent complètement le champ de la médecine régénératrice et par voie de conséquence la révision de la loi elle-même [2]. Est-ce parce que les aspects proprement scientifiques de la recherche sur les cellules souches, et singulièrement la méthode de reprogrammation cellulaire, sont difficiles à expliquer en quelques secondes à des personnes non rompues à ce genre d’exposés ? Quoi qu’il en soit, le jury de Marseille s’est fort logiquement prononcé en faveur d’une autorisation claire et sans ambiguïté de la recherche sur les embryons surnuméraires dépourvus de projet parental. Est-ce en raison de cette position très libérale qu’Axel Kahn a évoqué le regard « frais et décapant de ces citoyens jurés » qui lui ont paru « plus libres avec moins de tabous [3] » que les spécialistes ?
« Ne pas tenir compte de votre avis avant d’écrire la loi serait une erreur politique et une faute morale. À côté des rapports du CCNE, du Conseil d’État, de l’Agence de biomédecine, de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, il y aura le rapport des états généraux… à côté, plutôt au-dessus », a déclaré, enthousiaste, Jean Leonetti, lors de la cérémonie de clôture du processus à Paris. « Plus jamais on ne pourra faire un débat de société suivi d’une loi qui engage nos repères ou nos valeurs sans renouveler cette expérience de démocratie participative réelle » a-t-il ajouté. Ce qui peut légitimement inquiéter au vu de ce que nous venons de dire sur l’homoparentalité : ses promoteurs peuvent désormais s’appuyer sur l’avis « éclairé » des citoyens pour faire avancer leur cause au moment où sera rediscutée la question du statut du beau-parent prévue à la fin de l’été. Plusieurs observateurs notent qu’Alain Claeys, président de la mission d’information sur la révision de la loi, a certainement eu raison de monter au pupitre à Paris, bousculant le déroulement prévu, pour rappeler que seul le Parlement était à même de légiférer et que les « jurys citoyens » ne sauraient être appréhendés comme une enceinte de décision.
A priori, le bien n’existe pasLe risque est en effet que le formalisme de la démarche sacrifie les enjeux de fond. Le caractère moral des décisions des jurés n’est vu qu’à l’aune du respect de la procédure. Quand les hommes ne savent plus où est le bien et à quelles valeurs se vouer, il ne leur reste plus qu’à faire de l’éthique une procédure sensée rendre juste la décision qui clôt la discussion.
« L’éthique n’est pas le bien ou le mal, le vrai ou le faux et la question n’est pas de savoir qui a tort ou raison », a-t-on pu entendre à Paris. La vérité n’est plus que le résultat d’un hypothétique consensus qui pourrait tout aussi bien être remis en cause quelques mois plus tard. Tant mieux si l’accord trouvé rejoint les principes cardinaux de dignité et de non disponibilité du corps dans le cas de la gestation pour autrui. Tant mieux si le bon sens est encore au rendez-vous.
Cependant le danger est réel que l’opinion instantanée d’un jury, à laquelle se lierait par avance le législateur, ruine ces mêmes principes sur d’autres questions et soit brandie comme l’incarnation toute-puissante de la vox populi. Les conclusions en faveur de l’homoparentalité ou de la levée de l’interdit de principe de la recherche sur l’embryon ne sauraient constituer des arguments de poids sous prétexte que ce sont des jurys de quelques personnes tirées au sort qui les ont rendues. La méthode des panels ne saurait être une instance adéquate pour produire et justifier des valeurs qui obligerait tous les citoyens. Finalement, y a-t-il un sens à revendiquer a priori l’absence de toute conception de bien ou de vérité en faisant de l’accord citoyen une norme morale qui pourrait s’imposer à l’avenir au législateur ?
À l’issue de cette information, suivaient les trois grandes réunions publiques qui ont émaillé le mois de juin. Les jurés avaient préparé des questions à poser aux experts, les fameux grands témoins, convoqués tout autant pour leur professionnalisme que pour leurs convictions divergentes, et ce dans un souci d’équilibre et d’équité des débats. Avant de s’enfermer la journée suivante pour rédiger leurs recommandations figurant en bonne place dans le rapport très attendu des états généraux. Que penser de cette démarche présentée partout comme le nec plus ultra de la démocratie citoyenne et participative ?
Un problème de la compétenceOn a pu dire que les experts qui ont délivré la formation pouvaient orienter délibérément leur propos pour manipuler les jurés. Si ce risque n’est par définition jamais totalement absent dès lors qu’il y a transmission d’un savoir quel qu’il soit entre une personne qui sait et une personne inexpérimentée, nous pouvons cependant honnêtement convenir que d’une manière générale, les spécialistes nommés avaient toutes les qualités requises pour répondre avec sérieux à ce qui leur était demandé et éviter toute attitude d’emprise ou de domination sur les citoyens qu’ils avaient en face d’eux.
Quant au collège de grands témoins siégeant lors des journées publiques régionales, on peut être légitimement satisfait de leur composition équilibrée. A Rennes par exemple, Geneviève Delaisi de Perceval, psychanalyste militante de la cause des mères porteuses affrontait sur ce terrain Sylviane Agacinski, une des voix les plus fortes aujourd’hui en France pour s’y opposer. Philippe Menasché à Marseille, impliqué dans des programmes de recherche sur l’embryon avait à ses côtés Jacques Testard qui a redit tout le mal qu’il pensait de ces études. Nos doutes ne se situent donc pas de ce côté.
Sans aucunement leur faire injure, comment penser que de simple profanes en la matière puissent remettre après quelques heures d’information des avis éclairés sensés représenter l’opinion publique française sur des thèmes aussi compliqués que la recherche sur l’embryon ou le don d’organes ? C’est bien là que le bât blesse. Certains ont proposé d’ailleurs que la formation s’étale sur une année comme dans les pays scandinaves qui mettent en œuvre cette pratique depuis plusieurs années. Oui, mais les autorités ne feraient-elles pas de ces citoyens de nouveaux experts ? Or, c’est justement cela que le comité de pilotage voulait éviter. Il s’agissait bien ici de donner la parole à monsieur-tout-le-monde pour que le débat ne soit pas confisqué par les spécialistes, expression qui a été déclinée sur tous les tons pendant la durée des états généraux. Rappelons que les nations du nord de l’Europe tirent au sort des citoyens volontaires en équilibrant en amont l’agencement du panel : ils considèrent en effet qu’il n’existe pas de citoyens qui seraient des terres vierges sur le plan éthique mais que chacun a intériorisé des normes sociales spécifiques qui entreront en collusion avec celles des autres.
Bien sûr, on peut se féliciter que les panélistes aient rejeté avec force la légalisation de la gestation pour autrui ou l’ouverture des techniques d’AMP aux couples homosexuels. Cela étant, même sur ce dernier point, la position avancée par les citoyens ne dissipe pas complètement toute inquiétude. Alain Graf, rapporteur général des états généraux, a précisé dans la synthèse qu’il a donnée le 23 juin que les jurés de Rennes, s’ils avaient opté pour que l’AMP reste une réponse médicale en la réservant à des couples hétérosexuels infertiles, s’étaient prononcés également à l’unanimité en faveur de l’homoparentalité au nom du principe de non discrimination. On mesure ainsi la fragilité du raisonnement : une fois que le législateur aura accédé aux revendications d’adoption par des couples homosexuels, il sera très difficile de ne pas satisfaire leurs désirs de bénéficier des méthodes d’AMP au même titre que les couples hétérosexuels, au nom justement du principe d’égalité et de non-discrimination !
La dictature des bons sentimentsLors du Forum de Marseille, de nombreux participants dans la salle, en grande majorité initiés aux enjeux bioéthiques si l’on en croit les qualifications de l’auditoire fournies par le comité d’organisation, ont exprimé une certaine déception tant la persistance d’importantes lacunes était palpable chez des jurés sensés définir le nouveau régime législatif de la recherche sur l’embryon. Un panéliste a pu résumer ainsi le degré de réflexion du jury par un raccourci saisissant : pourquoi les couples qui ont bénéficié des bons et loyaux services des scientifiques pour donner satisfaction à leur désir d’enfant ne leur offriraient pas en retour les embryons dont ils ne veulent plus lorsque tout projet parental s’est éteint ? Pas un seul spécialiste, même très favorable à la recherche embryonnaire, n’avait jusqu’ici osé proférer un tel raisonnement. Il a fallu que certains des grands témoins présents rappellent que l’embryon n’était pas une chose dont on pouvait se débarrasser aussi facilement.
Dans le même ordre d’idée, l’Agence d’information Genethique a souligné combien les cellules iPS avaient été les grandes oubliées de cette réunion publique alors même qu’elles révolutionnent complètement le champ de la médecine régénératrice et par voie de conséquence la révision de la loi elle-même [2]. Est-ce parce que les aspects proprement scientifiques de la recherche sur les cellules souches, et singulièrement la méthode de reprogrammation cellulaire, sont difficiles à expliquer en quelques secondes à des personnes non rompues à ce genre d’exposés ? Quoi qu’il en soit, le jury de Marseille s’est fort logiquement prononcé en faveur d’une autorisation claire et sans ambiguïté de la recherche sur les embryons surnuméraires dépourvus de projet parental. Est-ce en raison de cette position très libérale qu’Axel Kahn a évoqué le regard « frais et décapant de ces citoyens jurés » qui lui ont paru « plus libres avec moins de tabous [3] » que les spécialistes ?
« Ne pas tenir compte de votre avis avant d’écrire la loi serait une erreur politique et une faute morale. À côté des rapports du CCNE, du Conseil d’État, de l’Agence de biomédecine, de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques, il y aura le rapport des états généraux… à côté, plutôt au-dessus », a déclaré, enthousiaste, Jean Leonetti, lors de la cérémonie de clôture du processus à Paris. « Plus jamais on ne pourra faire un débat de société suivi d’une loi qui engage nos repères ou nos valeurs sans renouveler cette expérience de démocratie participative réelle » a-t-il ajouté. Ce qui peut légitimement inquiéter au vu de ce que nous venons de dire sur l’homoparentalité : ses promoteurs peuvent désormais s’appuyer sur l’avis « éclairé » des citoyens pour faire avancer leur cause au moment où sera rediscutée la question du statut du beau-parent prévue à la fin de l’été. Plusieurs observateurs notent qu’Alain Claeys, président de la mission d’information sur la révision de la loi, a certainement eu raison de monter au pupitre à Paris, bousculant le déroulement prévu, pour rappeler que seul le Parlement était à même de légiférer et que les « jurys citoyens » ne sauraient être appréhendés comme une enceinte de décision.
A priori, le bien n’existe pasLe risque est en effet que le formalisme de la démarche sacrifie les enjeux de fond. Le caractère moral des décisions des jurés n’est vu qu’à l’aune du respect de la procédure. Quand les hommes ne savent plus où est le bien et à quelles valeurs se vouer, il ne leur reste plus qu’à faire de l’éthique une procédure sensée rendre juste la décision qui clôt la discussion.
« L’éthique n’est pas le bien ou le mal, le vrai ou le faux et la question n’est pas de savoir qui a tort ou raison », a-t-on pu entendre à Paris. La vérité n’est plus que le résultat d’un hypothétique consensus qui pourrait tout aussi bien être remis en cause quelques mois plus tard. Tant mieux si l’accord trouvé rejoint les principes cardinaux de dignité et de non disponibilité du corps dans le cas de la gestation pour autrui. Tant mieux si le bon sens est encore au rendez-vous.
Cependant le danger est réel que l’opinion instantanée d’un jury, à laquelle se lierait par avance le législateur, ruine ces mêmes principes sur d’autres questions et soit brandie comme l’incarnation toute-puissante de la vox populi. Les conclusions en faveur de l’homoparentalité ou de la levée de l’interdit de principe de la recherche sur l’embryon ne sauraient constituer des arguments de poids sous prétexte que ce sont des jurys de quelques personnes tirées au sort qui les ont rendues. La méthode des panels ne saurait être une instance adéquate pour produire et justifier des valeurs qui obligerait tous les citoyens. Finalement, y a-t-il un sens à revendiquer a priori l’absence de toute conception de bien ou de vérité en faisant de l’accord citoyen une norme morale qui pourrait s’imposer à l’avenir au législateur ?
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