dimanche 1 mai 2011

Glossaire du racisme

Les mots demandent qu'on les utilisent avec beaucoup de précaution. Rien de pire dans une discussion lorsque deux interlocuteurs s'invectivent des heures durant et finissent par s'apercevoir qu'ils ne parlaient pas de la même chose mais utilisaient le même mot (ou inversement). Il nous a donc semblé important de préciser quelques mots d'un vocabulaire couramment utilisé dans les discours antiracistes.
Voici donc, extrait du livre de PA Taguieff : Le racisme, (Domino-Flammarion éditeur, nov 1997, dans Annexes, glossaire, p110 à 116) quelques précieuses définitions que chacun d'entre nous emploiera un jour ou l'autre.
Bouc émissaire (théorie ou modèle du) : Théorie ou modèle explicatif fondé sur l'hypothèse que la frustration constitue une condition nécessaire et suffisante de l'agressivité ("théorie de la frustration-agression"). On suppose que certains contextes (crises sociales et économiques) favorisent l'augmentation du sentiment de frustration, donc de l'agressivité, laquelle se déplace et se fixe sur les exogroupes déjà les plus rejetés, perçus comme dissemblables et faibles, et faussement identifiés en tant que cause des frustrations. La victimisation de ces groupes minoritaires permettrait de réduire la tendance à agresser.
Communautarisme :
  1. Vision essentialiste des groupes humains (voir essentialisme ).
  2. Politique en faveur des identités de groupe, culturelles ou ethniques.
  3. Terme synonyme de "multicommunautarisme", référant aux doctrines de la société multiculturelle ou pluriethnique ("ethnopluralisme"). Voir ethnisme .
Darwinisme social : Doctrine sociopolitique selon laquelle la concurrence entre les hommes (individus et groupes) doit se dérouler sans obstacles (tels que les mesures de protection et d'assistance de l'État-providence, ou les conduites charitables), afin que la lutte pour l'existence et la sélection naturelle aboutissent socialement à la survie des "plus aptes" et à l'élimination des "moins aptes". Théorisation extrémiste du laisser-faire, doctrine de l'État-minimum, prônant la non-intervention dans la lutte pour la vie. Les darwinistes sociaux racistes postulent que chaque "race humaine" peut être rangée sur une échelle unilinéaire selon ses aptitudes supposées et que le moteur de l'histoire est la lutte pour la survivance entre les différentes "races".
Déplacement : En psychologie sociale, mécanisme suivant lequel l'agressivité se dirige vers une cible autre que la source de la frustration, pour se fixer sur les déviants ou les minorités.
Différentialisme : Ensemble d'attitudes et de comportements faisant prévaloir les appartenances particulières par rapport à l'appartenance au genre humain. Plus précisément :
  1. Vision de l'humanité privilégiant les différences entre les groupes (races, ethnies, peuples, nations, civilisations), et tendant à essentialiser les identités collectives (voir ethnisme ).
  2. Doctrine fondée sur le relativisme culturel radical, qui postule l'incommensurabilité des cultures (ou des mentalités de groupes) et leur fermeture sur elles-mêmes, voire la pluralité des "natures culturelles" de l'humanité, formant ainsi des quasi-espèces mentales (voir polygénisme ).
  3. Éthique et politique fondées sur la différence en même temps que le devoir de différence, et susceptibles de déboucher soit sur une forme d'ethnisme, soit sur un ethnonationalisme xénophobe, soit sur un modèle multicommunautariste (ou "multiculturaliste"), impliquant un traitement différent des individus en fonction de leurs appartenances raciales ou ethnique. Voir communautarisme , discrimination , ethnonationalisme .
Discrimination : Traitement différentiel et inégal de personnes ou de groupes en raison de leurs origines, de leurs appartenances, de leurs apparences (physiques ou sociales) ou de leurs opinions, réelles ou supposées. Ce qui revient à exclure certains individus du partage de certains biens sociaux (logement, emploi, etc…).
Essentialisme (ou essentialisation) : Mode de pensée qui consiste à attribuer à tous les membres d’un groupe, et tendanciellement à eux seuls, certaines caractéristiques, en expliquant ces dernières par la nature ou l’essence du groupe (par ses dispositions naturelles) plutôt que par des facteurs de situation.
Ethnique (groupe) : Ensemble d’individus qui se perçoivent ou sont perçus comme formant un groupe humain distinct, doté d’une identité collective (marquée par un nom propre) fondée sur une auto-identification impliquant la croyance à une origine et à une culture (langue, religion, mœurs) communes. Le mythe fondateur de tout groupe ethnique est le mythe d’un ancêtre commun.
Ethnisme :
  1. Doctrine selon laquelle l’identité ethnique est première dans l’ordre des modes d’identification d’un sujet.
  2. Théorie juridico-politique selon laquelle tout groupe ethnique doit être respecté dans sa “dignité” et son “intégrité” au sein d’une société pluraliste (pluriethnique, multiculturelle). Défense des droits des minorités ethniques. (Voir communautarisme. )
  3. Doctrine politique fondée sur le principe que tout groupe ethnique doit se constituer en communauté politique autonome, dotée d’un état souverain, afin de préserver son identité collective. C’est la voie de l’autonomisme ou du séparatisme, celle des nouveaux mouvements identitaires relevant de l’ethnonationalisme (voir ce mot).
Ethocentrisme : Attitude d’autopréférence de groupe universellement observable.
  1. Tendance à évaluer toute chose selon les valeurs et les normes propres au groupe d’appartenance du sujet, comme si ce groupe était l’unique modèle de référence.
  2. Tendance propre aux membres de tout groupe humain à se croire meilleurs que les membres des autres groupes, voire à s’imaginer être les seuls humains véritables.
  3. Couplage d’attitudes favorables à l’égard de l’endogroupe et d’attitudes défavorables à l’égard des exogroupes, ces derniers faisant l’objet de préjugés et de stéréotypes négatifs, accompagnés de mépris ou d’aversion. Voir xénophobie .
Ethnocide : Terme construit sur le modèle de “génocide” pour désigner l’acte de destruction d’une culture ou d’une civilisation, à travers divers types de mesures, allant de l’assimilation forcée aux modèles de la culture dominante ou conquérante à l’effacement violent de toutes traces de la culture minoritaire ou dominée.
Ethnonationalisme :
  1. Terme désignant l’ensemble des nouvelles mobilisations identitaires qui, fondées sur la défense plus ou moins convulsive d’identités éthniques plus ou moins inventées ou réinventées, prennent la forme de micro-nationalismes séparatistes visant l’éclatement des États-nations constitués ou vivant de la désintégration des empires (tel l’empire soviétique) ou des États fédéraux pluriethniques (l’ex-Yougoslavie).
  2. Doctrine politique appliquant à tout groupe ethnique le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en même temps que celui du devoir des ethnies de rester elles-mêmes, de préserver à tout prix leurs identités respectives ou de réaliser, au besoin par la force, une homogénéité ethnique perçue comme menacée par les flux migratoires ou la culture de masse planétaire.
  3. Voir ethnisme au sens 3.
Eugénisme : Terme créé en 1883 ( eugenics ) par Francis Galton pour désigner la “science”, la technique et la politique de l’”amélioration” des “qualités héréditaires” des populations humaines par le contrôle de la procréation. Celui-ci, longtemps limité au choix des procréateurs et aux stérilisations forcées s’est redéfini par la sélection “thérapeutique” des fœtus et le tri “préventif” des embryons (dans le cadre des procréations médicalement assistées); il pourrait s’étendre au choix des gènes.
Génocide : Terme créé en 1944 par le juriste Raphaël Lemkin.
  1. Extermination systématique, au nom d’une conception idéologique, d’un groupe humain en tant que tel jugé “de trop”.
  2. Sens large : action(s), entreprise(s) en vue de détruire, en tout ou en partie, un groupe racial, national, ethnique, religieux, etc…
Génotype : Constitution génétique totale d’un organisme; patrimoine génétique individuel. Voir phénotype.
Hétérophilie : Terme construit sur le modèle d’hétérophobie en 1985 (P-A taguieff). Valorisation immodérée de la différence (raciale, ethnique ou culturelle), susceptible d’aboutir à l’érection de la différence entre “nous” et “eux” en absolu (valeur suprême), ainsi qu’à la position d’un impératif inconditionnel de maintien des différences, qu’elles quelles soient. Voir différentialisme .
Hétérophobie (ou allophobie) :
  1. Rejet de la différence en tant que telle ou de toute marque d’altérité.
  2. Plus précisément : “Le refus d’autrui au nom de n’importe quelle différence” (Albert Memmi). Pour certains auteurs, l’hétérophobie constitue la catégorie générale dont le racisme classique représente une variante, définie par le rejet des autres en tant que porteurs de différences “raciales”.
Mixophobie : Néologisme introduit au début des années 1980 par P-A Taguieff. Attitude et comportement de rejet à l’égard du métissage, horreur des mélanges entre groupes humains, exprimant une hantise de la souillure, et, plus précisément, de la perte de pureté identitaire de la lignée. Hantise d’une descendance métissée, située au cœur de l’imaginaire raciste proprement moderne, la mixophobie constitue l’envers du désir d’autoreproduction à l’identique, centré sur le maintien des ressemblances dans la descendance.
Monogénisme :
  1. Doctrine selon laquelle tous les êtres humains, ou toutes les variétés humaines, dérivent d’une souche commune ou d’un seul et même type primitif.
  2. Croyance, d’origine biblique, à l’unité d’origine de tous les groupes formant l’espèce humaine : les humains sont tous “fils d’un même Père”.
  3. Doctrine de l’unité physique, intellectuelle et morale de l’espèce humaine, présupposant l’existence d’une “nature humaine” ainsi que le caractère accidentel ou contingent de la différenciation raciale, considérée souvent comme négligeable. Voir universalisme .
Nationalisme :
  1. Idéologie politique moderne fondée sur le principe de l’autodétermination des peuples, ou sur le “droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”, impliquant à la fois la souveraineté populaire, l’indépendance de l’État national territorialisé, ainsi que l’unité et l’homogénéité culturelle de la population nationale.
  2. Ensemble de comportements ordonnés à la défense des intérêts de la nation au-dessus de tout.
  3. Doctrine de la conservation inconditionnelle de l’identité nationale (définie en termes de culture, d’ethnicité ou de race), fondée sur le devoir des peuples de demeurer eux-mêmes. Voir ethnocentrisme , xénophobie , ethnonationalisme .
Phénotype : Ensemble des caractères apparents d’un individu, de ses traits somatiques visibles. Voir génotype , concept avec lequel il fait couple.
Polygénisme :
  1. Doctrine selon laquelle l’espèce humaine actuellement observable dérive de plusieurs souches distinctes, dont proviendraient les races humaines.
  2. Doctrine de la création ou de l’apparition séparée des races humaines, selon laquelle l’espèce humaine est apparue en divers lieux et à des époques différentes.
  3. Théorie de la pluralité des “espèces humaines”, identifiant les races humaines comme des espèces et niant l’existence d’une “nature humaine”. Voir différentialisme .
Préjugé :
  1. Opinion préconçue, socialement apprise, partagée par les membres d’un groupe, et susceptible d’être favorable ou défavorable à la catégorie visée.
  2. Attitude négative, défavorable, voire hostile, et chargée d’affectivité, à l’égard d’individus assignés à une catégorie définie.
  3. Croyance rigide reposant sur une généralisation abusive et sur une erreur dans le jugement, qui revient à attribuer des traits formant clichés à divers groupes humains (races, ethnies, nations, etc.) Voir stéréotype , ethnocentrisme .
Projection : (Psychanalyse) “Opération par laquelle le sujet expulse de soi et localise dans l’autre, personne ou chose, des qualités, des sentiments, des désirs, voire des “objets”, qu’il méconnaît ou refuse en lui” (J. Laplanche et J-B Pontalis). La projection fonctionne comme un mécanisme de défense, qu’on rencontre aussi bien dans la jalousie ou dans la superstition que dans la paranoïa et les délires d’interprétation ou de persécution. La diabolisation et la criminalisation des juifs, dans et par la fable du “meurtre rituel”, impliquent la projection de ses proppres pulsions destructrices par le sujet judéophobe.
Psychologie différentielle de l’intelligence : Domaine de la psychologie différentielle (dont l’objet est l’étude des différences entre les individus comme entre les groupes humains), plus spécialement consacré à l’analyse et à la mesure des aptitudes intellectuelles ou des activités cognitives. Lieu privilégié des controverses persistantes sur les facteurs “héréditaires” (et plus largement génétiques) et les facteurs environnementaux de ce qu’il est convenu d’appeler l’intelligence, à propos des études comparatives sur le quotient intellectuel des divers groupes (classe, “race”, etc).
Racialisation : Représentation des différences entre les groupes humains comme dues à des facteurs biologiques, tels qu’ils sont définis ou supposés dans les doctrines raciales. La hiérarchie sociale ou les classes sociales peuvent être racialisées. La racialisation, qui biologise les interactions sociales, doit être distinguée de l’ethnicisation, qui érige certaines caractéristiques culturelles (langue, religion, mœurs) en attributs essentiels des groupes.
Racialisme : Construction idéologique fondée sur l’idée de “race humaine”. Plus précisément :
  1. Doctrine selon laquelle la race détermine la culture, en ce sens que les différences entre les races détermineraient les différences entre les aptitudes mentales, les attitudes et les mœurs.
  2. Vision de l’histoire ou de l’évolution sociale, se présentant comme une théorie explicative, fondée sur telle ou telle classification des “races humaines” hiérarchiquement rangées sur une échelle de valeur.
Stéréotype : Image figée, faisant partie des représentations sociales disponibles. Plus précisément, en psychologie sociale :
  1. Idée fixe standardisée associée à une catégorie : “paresse” associée à “Noirs”, “cupidité” à “Juifs”, “violence” à “Arabes”, constituent des stéréotypes négatifs.
  2. Mode de catégorisation rigide et persistante (résistant au changement) de tel ou tel groupe humain, qui déforme et appauvrit la réalité sociale dont il fournit une grille de lecture simplificatrice, et dont la fonction est de rationaliser la conduite du sujet vis-à-vis du groupe catégorisé.
  3. Le processus de catégorisation stéréotypante implique, d’une part, une accentuation des différences entre le groupe d’appartenance et les autres groupes (effet de contraste), et, d’autre part, une accentuation des ressemblances dans le groupe d’appartenance comme dans les autres (effet d’assimilation). Voir préjugé , essentialisme.
Universalisme : Vision de l’humanité reposant sur l’affirmation d’une commune nature de tous les groupes humains et de la légitimité d’exigences universelles. Plus spécifiquement :
  1. Doctrine de l’unité fondamentale du genre humain, par-delà toutes les différences biologiques et culturelles. Voir monogénisme .
  2. Éthique ou morale fondée sur la détermination des valeurs et des normes transculturelles, universellement partagées ou partageables, c’est-à-dire communicables, et par là universalisables, ce que nie le relativisme culturel radical.
Xénophobie : Hostilité à l’égard des étrangers et de tout ce qui est perçu comme étranger. Une attitude est xénophobe lorsqu’elle revient à interpréter l’autre, celui qui n’appartient pas au groupe propre, comme une menace pour celui-ci. Perçu en tant qu’ennemi, l’étranger déclenche peur ou haine, ou les deux. 
(Source de cet article : http://dfcr.free.fr/div-glossaire.html)