dimanche 23 décembre 2012

François Hollande est-il un nouveau Louis XVI...

François Hollande, Louis XVI : même combat ?
Avec ses récentes propositions fiscales, François Hollande vise désormais l’aile gauche du parti socialiste, n’augurant rien de bon pour les finances publiques. Une situation qui fait écho à celle qu’à connue Louis XVI en son temps. Ce dernier n’était pas sans ignorer l’effondrement financier du pays mais impuissant à changer la donne.
On aurait pu penser qu’avec le choix de Nicolas Sarkozy d’axer sa campagne de premier tour à droite pour dessouder les électeurs de Marine Le Pen, et ses tirs au canon contre François Hollande, le candidat socialiste déciderait, sachant acquis le bon report des voix écologistes et de celles de Jean-Luc Mélenchon au second tour, de manœuvrer en direction du centre, l’électorat centriste détenant les clefs du second tour : soit un rééquilibrage des rapports de force entre les deux principaux candidats, soit la balle de « break » pour le leader socialiste. C’est le contraire qui s’est produit : face à la manœuvre du Président en exercice, François Hollande a opté pour une ligne très à gauche, plus axée sur le centre de gravité du parti socialiste, très proche de la ligne de Martine Aubry, destinée avant tout à renforcer sa gauche vers l’électorat de Jean-Luc Mélenchon.
Un régime de taxation expiatoire
Si bien que François Hollande candidat en est venu à reprendre à son compte des propositions qu’il récuse lui-même en tant qu’expert, comme l’idée d’introduire un régime de taxation expiatoire des plus hauts revenus. Car de son aveu même hors campagne électorale, taxer à 75 % les revenus supérieurs à un million d’euros ne contribue en rien à réduire les déficits, ce que Jérôme Cahuzac, l’expert fiscal du PS, a lui-même confirmé. Dans un contexte de concurrence fiscale généralisée en Europe, pareille fiscalité reposant sur le travail qualifié, contribuerait à renforcer la propension à transférer cadres internationaux de haut niveau, grands dirigeants d’entreprises, de la France vers des pays européens, nullement assimilables à des paradis fiscaux, ni juridiquement, ni économiquement, simplement soucieux de veiller à leur compétitivité. On peut même gager qu’une telle mesure aurait un effet induit sur d’autres composantes de la base fiscale comme le transfert de sièges sociaux ailleurs en Europe, affectant aussi de ce fait l’imposition des sociétés.
Au-delà d’une mesure symbole, la campagne du candidat socialiste laisse augurer une stratégie économique de début d’éventuel quinquennat, en rupture avec la politique actuelle calée sur la ligne générale européenne de sortie de crise par la réduction des déficits et le renforcement de la compétitivité des entreprises. Ce qui ne laisse pas au demeurant d’inquiéter les principaux partenaires de la France. Marquant une rupture avec les primaires, François Hollande manifeste ainsi la volonté de se soustraire au cadre général de la politique européenne ou du moins d’en desserrer la contrainte. D’abord en récusant les accords signés par le président de la République au titre de l’intégration progressive des politiques budgétaires de la zone euro. Ensuite en dissociant la politique budgétaire de sa composante compétitivité, par le choix de faire peser la résorption des déficits moins sur la réduction des dépenses – abolition de la TVA sociale, fin de la politique de réduction des effectifs de fonctionnaires, création de 60.000 postes d’enseignants – que sur le durcissement de la fiscalité de la partie de la population déjà la plus contributive au système. Ainsi les singularités de la politique française de prélèvements obligatoires – sur-taxation du capital et du travail qualifié, sous-taxation de la consommation – tels que la Cour des comptes les a mises en évidence par rapport à l’ensemble de l’Union européenne et notamment l’Allemagne, seraient encore accentuées par une administration socialiste.
L'impôt juste, c'est l'impôt payé par les autres
D’une manière générale, les dirigeants socialistes voient dans la réduction des déficits étalée sur un calendrier plus étiré que celui du gouvernement Fillon, et l’alourdissement des prélèvements sur les contributeurs nets au système qui se recrutent en dehors des électorats socialistes, le moyen d’éviter les réformes pouvant contrarier la fidélisation de leurs clientèles électorales. Les dirigeants socialistes appliquent ainsi une doctrine fiscale, ainsi énoncée par Raymond Barre, selon laquelle l’impôt juste, c’est l’impôt payé par les autres. Comme les dirigeants socialistes sont parfaitement conscients que les titulaires des plus hauts revenus sont précisément ceux qui disposent des moyens d’« optimiser » la charge fiscale, c’est bien sur les classes moyennes supérieures que les hausses futures d’impôt pèseront.
Au-delà d’une conception en trompe l’œil de la doctrine fiscale socialiste, les dirigeants PS amplifient l’erreur foncière de stratégie économique poursuivie par la France. Dans le prolongement de Ricardo, il importe peu que les dépenses soient financées par l’impôt ou par l’emprunt, les déficits d’aujourd’hui étant les impôts de demain. C’est le niveau de dépenses publiques en France – 56% du PIB, 8 points de plus que l’Allemagne, soit une différence de 160 Md€ – qui constitue l’élément principal d’affaiblissement de la croissance, par la substitution de dépenses privées à forte productivité par des dépenses publiques à faible productivité. Les effets « keynésiens » supposés de stimulation de la croissance dus au gonflement continu des dépenses publiques devraient placer la France en tête des champions du monde de la croissance. On sait ce qu’il en est !
Les mêmes causes produiront les mêmes effets sur une France qui a déjà l’apparence d’une grande Grèce : il est plus que probable qu’une remise en cause sous une forme ou une autre, de l’adhésion de la France au programme européen de réduction des déficits publics, soit dans un sens d’assouplissement du rythme de réduction des déficits – en vertu de l’imaginaire keynésien des dirigeants socialistes – soit par un durcissement du niveau des prélèvements obligatoires sur les facteurs de production les plus contributifs à la croissance, aura pour effet d’augmenter le taux d’endettement public sur PIB. Le risque existe alors par le jeu des anticipations des marchés qu’une administration socialiste se trouve exposée à une augmentation significative des primes de risques sur la dette française, se substituant ainsi aux mécanismes anciens d’écartement des taux de change.
Un programme PS incompatible avec l'appartenance de la France à la zone euro
Il importe de souligner qu’un gouvernement socialiste, n’ayant comme l’aurait dit Chateaubriand, ni rien appris ni rien oublié, aura tôt fait de se retrouver dans la situation de François Mitterrand sommé de choisir après trois dévaluations du franc entre 1981 et 1983, entre une sortie du système monétaire européen (SME) et la trahison des électeurs par la soumission aux règles européennes de politique économique. Autant le dire ici le plus clairement du monde, le programme socialiste est strictement incompatible avec l’appartenance de la France à la zone euro. La France de 2012, membre de la zone euro, est dans une situation trop fragile pour pouvoir résister à un troisième choc socialiste, en tout cas pas tel que le programme en est présenté au cours de cette campagne présidentielle. Une nouvelle équipe socialiste arrivant aux affaires en 2012 ne pourrait s’appuyer sur aucune marge de manœuvre, celle-ci ayant fondu dans la crise endurée depuis 2008. Les dirigeants de la zone euro ont du déployer des plans d’aide et de restructuration d’une ampleur exceptionnelle qui font l’objet d’accords qui ne donneront lieu à aucune renégociation : tout l’édifice de résolution de la crise de la zone euro repose sur l’hypothèse d’une France jouant le jeu des réformes compétitives et de la réduction des déficits et de l’endettement.
Mais ce que donne à voir la campagne socialiste relève surtout du champ politique. D’une certaine manière, une grande partie des difficultés de la France à entreprendre les réformes nécessaires butte sur l’incapacité de la gauche française à s’affranchir des postures révolutionnaires. Tant que l’entreprise sera soumise à une rhétorique de lutte des classes, à une délégitimation permanente de toute véritable accumulation financière dans son bilan, aucun équilibre social digne de ce nom ne pourra être défini alors que c’est une des clefs de la réussite des entreprises allemandes. Tout ce que la gauche allemande de Willy Brandt à Gerhard Schroeder en passant par Helmut Schmidt, a réussi à réaliser, la gauche française de François Mitterrand à Lionel Jospin a échoué à le faire. Pour sortir de l’alternative de la crise européenne ou de la trahison électorale, qui dans tous les cas débouche sur un affaiblissement supplémentaire de la politique et pas seulement du PS – la gauche française n’est jamais parvenue à être reconduite au pouvoir depuis 1958, ni en 1986 après 1981, ni en 1993 après 1988, ni en 2002 après 1997 – il aurait fallu que François Hollande prît le contrôle du PS après sa victoire aux primaires. C’est le contraire qui s’est produit et pour éviter la discordance entre le PS et le candidat, c’est lui qui s’est soumis à la rhétorique révolutionnaire des socialistes. C’est la ligne « obscurantiste » qui a pris le contrôle du candidat « réformiste », de l’arrêt des centrales nucléaires à la taxation expiatoire des riches.
Absolutisme politique impuissant à faire des réformes
Dans l’immédiat, cette stratégie ne défavorise pas François Hollande comme le montrent les sondages, jusqu’au jour où les électeurs centristes cesseront de se reconnaître dans une posture étrangère à leur culture politique. Et si l’antisarkozysme jouant son effet anticyclonique en faveur du candidat socialiste lui permet de l’emporter, c’est à nouveau au prix d’une trahison électorale que la mue réformiste sera possible si jamais elle est entreprise. Elle aura toujours le goût de la soumission aux réformes venues d’ailleurs, ce qui lui donnera une légitimité bien frêle. Un candidat Hollande imposant au PS en en prenant le contrôle, une ligne social-démocrate, qui plus est sanctionnée par le suffrage universel aurait délivré la gauche française de ses vieux démons, accompli une mutation politique de première importance, et donné à la vie politique française un tonus et un équilibre qui lui manquent tellement. Encore une occasion manquée.
La France d’aujourd’hui n’est pas sans rappeler celle de la fin d’Ancien régime. La situation financière de l’Etat est assez proche de celle de la France d’alors. La situation politique aussi : un absolutisme politique impuissant à faire des réformes car soumis aux titulaires de rentes. Et le risque d’aujourd’hui est bien de voir les Français opter pour un nouveau Louis XVI, certes conscient de voir la France courir financièrement à la banqueroute mais impuissant à venir à bout des privilèges. Un Louis XVI coiffé certes d’un bonnet phrygien, car croyant conjurer les périls par une phraséologie révolutionnaire, mais entraînant le pays malgré lui vers l’effondrement. Mais à l’âge moderne, c’est vers la destinée de la Grèce que la France risque de se voir entrainée faute d’entreprendre les réformes qu’imposent les périls. Pas celle de Périclès, celle de Papandreou. La faillite pas maintenant !
14.03.2012
Alain Fabre, Economiste et Conseil financier d’entreprises. Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, titulaire d’un Master 2 d’Etudes politiques de l’EHESS et d’un DESS de Droit bancaire et financier, Alain Fabre a commencé sa carrière comme économiste à la Banque de France avant de rejoindre la Caisse des Dépôts et Consignations puis la Cie Financière Edmond de Rothschild. Il est aujourd’hui à la tête d’une société indépendante de conseil financier aux entreprises.
François Hollande : un destin à la Louis XVI ?
LE CERCLE. Le paradoxe aujourd'hui veut que l'Allemagne, pays de consensus, soit dirigée par une figure autoritaire tandis qu'en France, c’est l'inverse. Mais le pays est-il prêt à ce genre de gouvernance ?
Louis XVI, tout comme son grand-père Louis XV, eut durant son règne à assumer les conséquences de la période faste de Louis XIV. Une période durant laquelle le Roi-Soleil fit de la France la première puissance européenne et accentua la centralisation du pouvoir autour de sa personne. Autre héritage moins glorieux : une situation financière de plus en plus précaire.
Le règne de Louis XVI – faisant suite à la période faste des Lumières – fut marqué par quelques réformes d'envergure comme le droit des personnes (abolition de la torture, restriction du servage, tolérance à l'égard des protestants) ainsi que la fiscalité avec l'instauration d'un impôt direct égalitaire placé sous le contrôle d'assemblées élues, et ce malgré l'opposition des privilégiés de l'époque. Bref, des intentions parfaitement louables, mais rien n'y fit : le roi fut définitivement renversé le 10 août 1792.
Deux raisons expliquent à mon sens cette chute : d'une part, la situation financière désastreuse du pays. Comme nous le voyons aujourd'hui, les gouvernements renversés se succèdent les uns aux autres sur fond de crise économique, quels que soient la valeur et les efforts du pouvoir en place. Davantage que l'orientation politique, ce sont les questions matérielles qui motivent les changements générés par les électeurs.
D'autre part, l'incompatibilité entre la personnalité des souverains en place (Louis XV puis XVI) – personnages relativement humbles, humanistes et réformateurs pour l'époque – et la charge immense d'un État puissant, centralisateur et dominateur comme celui porté à son apogée par Louis XIV.
François Hollande, homme de consensus par excellence, se trouve désormais à la tête d'un État qui, de par sa nature même, réclame poigne et autorité afin de maintenir l'unité du pays. Peu importe ses idées, la France a besoin pour exister d'un monarque tout-puissant à sa tête ; un rôle que remplissait Nicolas Sarkozy à merveille et raison pour laquelle il fut élu en 2007.
Et c'est la raison pour laquelle la France et ses médias grondaient ces dernières semaines, exigeant du nouveau Président de s'imposer toujours plus et surtout de montrer sa force. Cela tient à la nature même de l'État français et à sa structure pyramidale bien particulière. Mais Hollande n'est pas Sarkozy. C'est un homme d'écoute et de consensus qui aurait parfaitement eu sa place dans le paysage politique allemand. À l'inverse, les Français rêvent-ils sans doute d'une Angela Merkel à leur tête, une femme forte capable de faire le ménage autour d'elle afin de préserver l'unité du pouvoir.
Dès 1789, une des décisions de l'Assemblée constituante visant à abolir les privilèges fut de supprimer les anciennes Provinces de France au profit des départements, découpage administratif arbitraire du territoire qui eut pour effet, in fine, de renforcer davantage encore le pouvoir central. Puis vint la Terreur. Bref, il semble bien, M. Hollande, que ce que les Français souhaitent ce n'est pas de l'autonomie, ni des responsabilités, mais de l'autorité et du contrôle. À bon entendeur.
Le 13 septembre 2012.
FRANCOIS HOLLANDE EST-IL LE LOUIS XVI DE LA Ve REPUBLIQUE ?
  Comme le relève Michel Ruch dans une excellente série d’articles sur Atlantico.fr, l’emprise idéologique à laquelle est soumise l’Europe a bien des allures de fin de règne de l’Union soviétique. On peut d’ailleurs couramment relier les formules de propagande des néolibéraux à celles d’autres régimes totalitaires. Mais la situation actuelle révèle également bien des similitudes avec celle de l’Ancien Régime finissant.
Au crépuscule de son règne, l’Etat royal était criblé de dettes et ne parvenait plus à les honorer.
En 2012, la France, dit-on, vit depuis des décennies au-dessus des moyens.
La fiscalité d’Ancien Régime était composée d’un enchevêtrement de taxes qui faisait porter la quasi-totalité de l’effort sur la bourgeoisie, tandis que la féodalité maintenait dans la misère les plus mal nés et que les nantis de l’aristocratie se voyaient exempts d’impôts.
La fiscalité française est un fatras de niches, d’annones et d’impôts en tous genres qui mettent fortement à contribution les classes moyennes et les petites entreprises pendant que les plus riches et les multinationales peuvent « optimiser » leurs contributions fiscales, quand ils ne décident pas tout simplement de s’y soustraire en fuyant à l’étranger. De plus, alors que les Trente glorieuses avaient laissé entrevoir l’espoir de voir la pauvreté éradiquée de France, l’aboutissement logique des Quarante piteuses néolibérales est l’explosion des inégalités et le retour en force de la précarité pour les plus faibles.
Sous la monarchie, la promotion sociale était quasiment absente : la naissance décidait du rang social.
Dans la France des années 2010, la méritocratie est mise à mal : pour arriver au sommet des élites, quel qu’en soient les domaines – politique, économique et même culturel –, le réseau, le copinage et la règle de l’argent tiennent lieux de compétences
Lors de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la généralisation de l’’imprimerie et l’alphabétisation avait permis l’éveil des consciences individuelles et collectives.
Au début de ce XXIe siècle, l’explosion d’internet, des blogs et des réseaux sociaux permettent l’émergence d’une critique hétérodoxe et une remise en cause de la pensée unique dominante en dehors des circuits classiques de médias souvent vendus aux plus offrants.
La royauté est tombée parce qu’une aristocratie enfermée dans sa Cour versaillaise s’accrochait à ses privilèges et avait perdu tout contact avec la réalité nue de la vie quotidienne de ses sujets.
Qu’en est-il aujourd’hui de l’oligarchie endogame enfermée dans ses contre-ghettos ?
L’Ancien Régime finissant avait vu arrivé un roi que tous s’accordaient à décrire comme un homme affable, bricoleur à ses loisirs et bon père de famille. La cruelle Histoire ne s’est pas accordé de son caractère indécis et l’a écrasé sous son poids.
François Hollande est unanimement reconnu comme sympathique, avenant, disposant toujours d’un bon mot et cherchant en permanence le consensus. Il y a encore quelques mois bien peu lui auraient imaginé un destin présidentiel. La pâleur de son début de règne, son apathie indolente face à Angela Merkel et consorts et son incapacité à tirer les leçons de la crise systémique qui nous environne laissent fort à penser que les Français ont porté au pouvoir un Louis XVI républicain.
Comme Platon, je crois, sans pour autant que cela en fasse un modèle absolu, aux cycles de l’histoire politique. Au début était l’anarchie, puis les hommes, las du désordre et de la loi du plus fort qui en est le corollaire, portent au pouvoir une aristocratie (littéralement « le gouvernement des meilleurs ») qui rétablit l’ordre au sein de la société. Mais pour que perdure cette aristocratie, elle doit bénéficier d’une légitimité accordée par l’élection : c’est l’avènement de la république. Une fois la république établie, les citoyens entendent de plus en plus gouverner par eux-mêmes : la démocratie prend son envol. Mais une fois celle-ci en place, les hommes croient la liberté et la paix acquises pour toujours. Ils se détournent alors de la « Chose publique «  (Res Publica) pour se consacrer à la jouissance de leur vie privée. Une oligarchie, pouvant prendre diverses formes (bien souvent ploutocratique), en profite alors pour s’accaparer le pouvoir, prétextant qu’elle le fait pour le bien commun alors qu’elle n’agit plus que pour la conservation de ses rentes. L’équilibre sociétale tombe peu à peu, l’injustice se fait jour à la face de tous, la colère gronde, le désordre (celui des marchés ?) réapparait. L’anarchie est de retour.
L’histoire ne se répète pas. On peut parfois croire qu’elle tend à bégayer. Mais ce qui est fort probable, c’est que les mêmes causes produisent bien souvent les mêmes effets.
Vendredi 5 octobre 2012.
François Hollande est-il un nouveau Louis XVI ?
Division interne, calculs partisans, manque d'autorité... François Hollande, à force de gérer la France comme un parti politique risque fort de se confronter à la dure expérience qu'a vécu Louis XVI en son temps.
De Louis XVI, les Français ont gardé le souvenir, au demeurant injuste, d’un bon Roi victime des événements, maltraité par l’Histoire, emporté par une inéluctable Révolution. Et l’historiographie marxiste, qui conteste le rôle des hommes et croit à l’inéluctabilité des grands conflits historiques, a nourri cette perspective finalement indulgente pour le dernier des Capet. Le mythe de la révolution bourgeoise est au fond un hommage posthume rendu au monarque, comme s’il avait été le jouet de l’Histoire malgré lui.
La réalité était tout autre : Louis XVI n’avait guère de bienveillance pour son peuple, mais il avait vu juste sur un certain nombre de réformes à entreprendre : réduire les pensions versées aux nobles, réformer la fiscalité et la géographie administrative, réformer la bureaucratie. Le mouvement des physiocrates qui le talonnait en avait fait son fond politique : les sujets majeurs de l’Ancien Régime s’appelaient réforme fiscale, réforme de l’État et crise de la dette.
Ce qui manquait à Louis XVI, c’était l’esprit de décision: quand il entrevoyait une réforme nécessaire, il faisait un pas vers elle, et tout de suite la somme de difficultés à affronter pour parvenir à ses fins le faisait reculer.
Cette indécision, qui résonnait dans l’esprit des Français comme le signal de la faiblesse, eut raison de notre monarchie décadente. Ainsi, en convoquant les États Généraux le 1er mai 1789, Louis XVI eut l’intuition géniale que seule une consultation large permettrait de surmonter les résistances à une réforme fiscale, indispensable pour financer la dette. Mais, dans son souci de ne pas aller trop loin, il voulut placer ces États sous l’autorité de la noblesse qui ne représentait plus rien. Lorsque le Tiers État, lors de la fameuse séance du Jeu de Paume, refusa ce principe, Louis XVI céda.
Quelques jours plus tard, il rassembla des troupes loyalistes autour de Paris pour reprendre la situation en main. Mais le peuple prit la Bastille pour s’armer, et Louis XVI recula à nouveau. La monarchie se désagrégea peu à peu, à force d’atermoiements et d’indécision.
Comment ne pas voir que la France de François Hollande se promet aux mêmes affres ? François Hollande élu sur le principe d’une renégociation du traité budgétaire ? Quelques semaines suffisent à enterrer l’idée.
François Hollande élu sur la promesse d’une réforme fiscale majeure ? La loi de finances se limite à créer une contribution exceptionnelle pour quelques centaines de ménage, et le reste est oublié. Avait-il juré qu’une loi sur les licenciements boursiers protégerait les salariés contre des patrons voyous ? Il ne reste plus qu’Arnaud Montebourg pour défendre une forteresse fantôme où les futurs chômeurs vérifient jour après jour l’abandon dans lequel le gouvernement les laisse.
L’affaire du rapport Gallois constitue, de ce point de vue, une sorte de zénith dans la dénégation, le reniement, la velléité faite gouvernance.
Lors de la conférence sociale de juillet, le gouvernement avait annoncé un grand chantier sur la réforme du financement de la sécurité sociale. Le projet avait du sens. Dans un premier temps, les experts documentaient les différentes pistes possibles. Parallèlement, Louis Gallois devait établir la cohérence d’un transfert de cotisations vers l’impôt pour diminuer le coût du travail. Rappelons clairement que cette concomitance n’a jamais fait de doute, puisque le document de synthèse de cette conférence présentait la remise de ce rapport comme un préalable à la concertation qui devait rassembler, au premier trimestre 2013, les partenaires sociaux sur l’avenir du financement de la sécurité sociale.
Fin septembre, le bruit commence à courir d’un transfert de cotisations à hauteur d’environ 40 milliards, en une ou deux années, ce qui constituerait un choc majeur pour le coût du travail en France. Les défenseurs de cette idée jugeront qu’il s’agissait d’un choc salutaire.
Assez rapidement, tout le monde déchante. Le gouvernement évoque l’idée d’un saupoudrage tel que le choc se transformerait en mesurettes étalées sur une éternité, sans impact sur la réalité.
Il semblerait que Louis Gallois, qui fut directeur de cabinet de Jean-Pierre Chevènement en 1981 puis en 1988, prépare dans le même temps un rapport favorable à un transfert de cotisations à hauteur de 30 milliards d’euros vers l’impôt. Précisément l’arbitrage dont nombre de députés socialistes semblent ne pas vouloir, pour des raisons tout à fait idéologiques.
Résultat ? Les petites phrases fusent, qui annoncent déjà une mise à l’écart d’un rapport dont le gouvernement avait pourtant fait grand cas. Les dégâts causés par ce reniement risquent d’être cataclysmiques : après avoir fait l’apologie d’une méthode fondée sur la concertation, présentée comme une rupture avec l’ère Sarkozy, le système Hollande n’aura pas mis six mois à reprendre des pratiques anciennes : les discussions en vase clos, et le silence arrogant opposé à toute pensée alternative.
Ces circonvolutions donnent l’impression d’être une méthode de gouvernement. Un jour, un ministre prône la dépénalisation du cannabis, le lendemain, le Premier Ministre lui cloue le bec, et une semaine plus tard, la ministre de la Santé se réjouit d’expérimentations en centres ouverts. Qui peut comprendre la ligne officielle du gouvernement?
Le petit monde socialiste imagine qu’après tout, le pays peut bien être dirigé comme le parti lui-même : dans les luttes de clan, les reniements, les coups fourrés, les calculs partisans à trois balles, et l’esprit de vengeance. Il n’est vraiment pas certain que cette conviction soit fondée, car un pays, qui plus est la France, ne se manie pas comme un parti. Il lui faut de la vision, de la grandeur, des certitudes et des valeurs respectées.
Faute d’obéir à cette règle, le gouvernement risque bien de faire la dure expérience que vécut la monarchie en son temps : celle d’une division interne, d’une incapacité à réagir faute d’autorité, d’un lent engloutissement dans la férocité de l’histoire.
Je le sais... Tout le monde constate le calme de l’opinion publique. Relisons les journaux de mars 1968, et nous y trouverons la même torpeur.
Éric Verhaeghe (1)
Eternel recommencement
Publié le 23 octobre 2012 - Mis à jour le 14 novembre 2012
(1) Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC (l'Association pour l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr
Diplômé de l'ENA (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.
François Hollande, Louis XVI et l'horloge
Hollande sera-t-il le Louis XVI de la République ?
Ainsi, François Hollande est le seizième dirigeant français depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Il suggère irrésistiblement Louis XVI. Le même côté rondouillard, indécis, généreux mais naïf, le rappelle fortement. Fini le candidat svelte et amaigri plus viril, l’embonpoint discret et les circonvolutions savantes sont vite revenus.
Déjà, la difficulté à mettre en place des réformes est évidente. Les premières mesures Ayrault font penser à la succession de Turgot, Necker, Calonne Brienne, autant d’échecs qui ont donné la Révolution Française.
Les appareils politiques des deux clans sont deux coquilles vides sans projet, gérées par des employés aux écritures, objet de querelles de domestiques, de petits roquets ou de nourrices s’essayant à la politique, d’intrigues de cour aux relents de sexe ou d’argent, ou des deux. C’est tout juste si l’attribution d’un bureau ou d’un fauteuil ne donne pas lieu à débat public.
Comme à la période de Louis XVI, toutes ces élites sont engoncées dans les rites d’un ancien régime qui ne veut plus rien dire, complètement décalé avec la société contemporaine, sans aucun sens pour les nouvelles générations. Le temple de ces élites, Sciences Po, révèle à son tour ses intrigues, ses lézardes, sa décadence, malgré tous les efforts de son aristocratie pour en dissimuler les turpitudes. Les élèves de l’ENA ne craignent plus de sourire ouvertement de leur enseignement abscons. Nos meilleurs éléments scientifiques partent depuis longtemps travailler sous d’autres cieux, jalousés, incompris ou soucieux de simplement travailler.
Nos parlementaires et ministres mènent un train de vie fastueux, indécent en temps de crise, tant dans les endroits où ils travaillent, que dans la rémunération de leur entourage ou le nombre de personnes à leur service. La contagion a gagné les collectivités territoriales où chaque baron local se laisse aller aux faveurs, aux parrains, aux largesses complices, aux recrutements d’amis voire de parents, avec des méthodes elles aussi révolues, dans l’augmentation sans fin d’impôts locaux devenus astronomiques pour le peuple laborieux qui crée la richesse de la Nation.
Il ne se passe pas un mois depuis plus de trente ans, depuis trois livres, « le mal français », « le désert français » ou « les exclus », sans qu’un ouvrage ne soit publié pour dénoncer la dérive profonde de notre pays, éternel enfant gâté de moins en moins éternel.
Notre système institutionnel a bloqué la pendule sur l’heure qui lui convenait, pour différer éternellement l’addition. Elle arrive. On confond souvent révolution, révolte et émeute. La révolution, c’est simplement le mouvement du soleil, d’une horloge, et elle est bloquée dans notre pays. La révolte, c’est se retourner pour faire face, pour résoudre un conflit ou un problème, c’est donc la réforme. L’émeute, c’est la force nécessaire pour débloquer les choses si une révolte ne permet pas de laisser la révolution naturelle se faire..
Au pouvoir de décider… Il ne lui reste que très peu de temps. Ah ! oui ! au fait…Louis XVI aimait les horloges… Il parait qu’il y en a beaucoup à l’Elysée.
Ludovic Grangeon , Partenaire fondateur de « Parménide », samedi 24 novembre 2012.
Louis XVI, les sans-culottes et François Hollande
La politique française ne se comprend pas si l’on omet la présence familière de l’histoire comme décor permanent. Le débat politique se comprend moins encore si l’on n’intègre pas le poids constant, voire envahissant de notre mythologie historique. Cette historicisation de la politique ne constitue certes pas un monopole français mais son intensité représente bel et bien une spécificité tricolore. Rien ne distrait et ne divertit autant les observateurs étrangers que l’instrumentalisation ardente des dates célèbres, des épisodes fameux, des personnages symboliques.
Nous venons d’en avoir encore tout récemment deux illustrations curieusement complémentaires. Jean-Luc Mélenchon a choisi de comparer François Hollande à Louis XVI pour définir sa politique. Au lendemain de la diatribe d’Arnaud Montebourg contre le groupe Mittal, le maire de Londres, Boris Johnson, un conservateur extravagant, s’est écrié : «Je vois que les sans-culottes semblent s’être emparés du gouvernement à Paris.» Les images d’Epinal ont la vie dure.
L’aimable dirigeant du Parti de gauche a voulu accabler François Hollande en l’identifiant à un monarque qui passait pour faible, passif et myope.
Le lord-maire de la capitale britannique a voulu discréditer le gouvernement français et en particulier son capitaine Fracasse en les affublant d’un pantalon grossier, d’une carmagnole, de sabots, d’une pique vengeresse et d’un bonnet rouge à cocarde tricolore afin d’épouvanter les investisseurs étrangers.
Deux références pittoresques à la Révolution, fondatrice de la république, deux lourds contresens politiques. François Hollande n’est pas faible, il est habile ; il n’est pas passif mais au contraire décidé ; il n’est pas myope mais presbyte. Quant au gouvernement, il apparaît plus girondin qu’enragé.
Jean-Luc Mélenchon se trompe du tout au tout sur François Hollande. Il croit ou il feint de croire que le chef de l’Etat se laisse ballotter par les événements et plie l’échine face aux forces du marché, aux investisseurs et aux financiers. De plus, il lui conteste toute envergure en lui plaquant l’image du malheureux Louis XVI qui passait pour un brave homme plutôt ouvert mais assez court. Récidive, puisque tel était aussi le message implicite du fameux «capitaine de pédalo». Mélenchon sous-estime systématiquement tous ceux qui ne partagent pas ses tonitruants avis. François Hollande est devenu sa cible favorite. C’est aussi la moins bien choisie.
Parce qu’il est affable, ductile, souple et gai, François Hollande a très souvent été considéré comme un personnage de second rang, y compris par plus d’un membre de son gouvernement actuel. Ses détracteurs auraient dû se demander pourquoi, depuis le début même de ses études, il s’est imposé presque naturellement comme le leader des groupes successifs auxquels il a appartenu. Ils auraient dû s’interroger sur les ressorts de sa combativité et de son opiniâtreté tout au long de l’interminable campagne présidentielle. Ils auraient surtout dû comprendre que s’il use et abuse des jongleries et des roueries, il n’en sait pas moins ce qu’il veut.
Pour aller à l’essentiel, ce que Jean-Luc Mélenchon croit être des renoncements, des fléchissements et des génuflexions sont en réalité des convictions et des choix qui remontent à très loin. Le réalisme, le pragmatisme, voire la ruse constitue une idéologie aussi cohérente, aussi structurée et aussi estimable que le bruit, la fureur et l’excommunication.
Quant au gouvernement des sans-culottes, humour britannique à part, c’est le fruit d’une imagination aussi cocasse qu’absurde. Jean-Marc Ayrault présente le profil raisonnable et pondéré d’un social-démocrate typique, parfois maladroit, souvent décidé, parfois accablé, souvent autoritaire. Il faut beaucoup d’imagination ou d’ignorance pour en faire un Marat, un Babeuf ou un Hébert. Quant à la ligne de son gouvernement, elle relève du social -libéralisme le plus classique : engagement européen énergique, diminution des déficits au pas de course, volonté de réduire les dépenses publiques, pacte de compétitivité, le tout humanisé par des réformes en faveur des jeunes, de l’égalité hommes-femmes et par les drapeaux délibérément agités (mariage et adoption pour les homosexuels, réflexions sur la fin de vie, engagement de mettre fin au cumul des mandats, introduction de la proportionnelle…). C’est toute la panoplie de la social-démocratie en temps de crise ou du social-ibéralisme débutant. On apprécie ou on n’apprécie pas mais il faut réellement être Boris Johnson pour faire de ce gouvernement un épouvantail et Jean-Luc Mélenchon pour rêver de voir François Hollande fuir à Varennes. Et Montebourg ? Eh bien, il y a toujours un ministre qui détonne.
5 décembre 2012 à 19:06
Par ALAIN DUHAMEL