François
Hollande, Louis XVI : même combat ?
Avec ses
récentes propositions fiscales, François Hollande vise désormais
l’aile gauche du parti socialiste, n’augurant rien de bon pour
les finances publiques. Une situation qui fait écho à celle qu’à
connue Louis XVI en son temps. Ce dernier n’était pas sans ignorer
l’effondrement financier du pays mais impuissant à changer la
donne.
On
aurait pu penser qu’avec le choix de Nicolas Sarkozy d’axer sa
campagne de premier tour à droite pour dessouder les électeurs de
Marine Le Pen, et ses tirs au canon contre François Hollande, le
candidat socialiste déciderait, sachant acquis le bon report des
voix écologistes et de celles de Jean-Luc Mélenchon au second tour,
de manœuvrer en direction du centre, l’électorat centriste
détenant les clefs du second tour : soit un rééquilibrage des
rapports de force entre les deux principaux candidats, soit la balle
de « break » pour le leader socialiste. C’est le contraire qui
s’est produit : face à la manœuvre du Président en exercice,
François Hollande a opté pour une ligne très à gauche, plus axée
sur le centre de gravité du parti socialiste, très proche de la
ligne de Martine Aubry, destinée avant tout à renforcer sa gauche
vers l’électorat de Jean-Luc Mélenchon.
Un
régime de taxation expiatoire
Si bien
que François Hollande candidat en est venu à reprendre à son
compte des propositions qu’il récuse lui-même en tant qu’expert,
comme l’idée d’introduire un régime de taxation expiatoire des
plus hauts revenus. Car de son aveu même hors campagne électorale,
taxer à 75 % les revenus supérieurs à un million d’euros ne
contribue en rien à réduire les déficits, ce que Jérôme Cahuzac,
l’expert fiscal du PS, a lui-même confirmé. Dans un contexte de
concurrence fiscale généralisée en Europe, pareille fiscalité
reposant sur le travail qualifié, contribuerait à renforcer la
propension à transférer cadres internationaux de haut niveau,
grands dirigeants d’entreprises, de la France vers des pays
européens, nullement assimilables à des paradis fiscaux, ni
juridiquement, ni économiquement, simplement soucieux de veiller à
leur compétitivité. On peut même gager qu’une telle mesure
aurait un effet induit sur d’autres composantes de la base fiscale
comme le transfert de sièges sociaux ailleurs en Europe, affectant
aussi de ce fait l’imposition des sociétés.
Au-delà
d’une mesure symbole, la campagne du candidat socialiste laisse
augurer une stratégie économique de début d’éventuel
quinquennat, en rupture avec la politique actuelle calée sur la
ligne générale européenne de sortie de crise par la réduction des
déficits et le renforcement de la compétitivité des entreprises.
Ce qui ne laisse pas au demeurant d’inquiéter les principaux
partenaires de la France. Marquant une rupture avec les primaires,
François Hollande manifeste ainsi la volonté de se soustraire au
cadre général de la politique européenne ou du moins d’en
desserrer la contrainte. D’abord en récusant les accords signés
par le président de la République au titre de l’intégration
progressive des politiques budgétaires de la zone euro. Ensuite en
dissociant la politique budgétaire de sa composante compétitivité,
par le choix de faire peser la résorption des déficits moins sur la
réduction des dépenses – abolition de la TVA sociale, fin de la
politique de réduction des effectifs de fonctionnaires, création de
60.000 postes d’enseignants – que sur le durcissement de la
fiscalité de la partie de la population déjà la plus contributive
au système. Ainsi les singularités de la politique française de
prélèvements obligatoires – sur-taxation du capital et du travail
qualifié, sous-taxation de la consommation – tels que la Cour des
comptes les a mises en évidence par rapport à l’ensemble de
l’Union européenne et notamment l’Allemagne, seraient encore
accentuées par une administration socialiste.
L'impôt
juste, c'est l'impôt payé par les autres
D’une
manière générale, les dirigeants socialistes voient dans la
réduction des déficits étalée sur un calendrier plus étiré que
celui du gouvernement Fillon, et l’alourdissement des prélèvements
sur les contributeurs nets au système qui se recrutent en dehors des
électorats socialistes, le moyen d’éviter les réformes pouvant
contrarier la fidélisation de leurs clientèles électorales. Les
dirigeants socialistes appliquent ainsi une doctrine fiscale, ainsi
énoncée par Raymond Barre, selon laquelle l’impôt juste, c’est
l’impôt payé par les autres. Comme les dirigeants socialistes
sont parfaitement conscients que les titulaires des plus hauts
revenus sont précisément ceux qui disposent des moyens d’«
optimiser » la charge fiscale, c’est bien sur les classes moyennes
supérieures que les hausses futures d’impôt pèseront.
Au-delà
d’une conception en trompe l’œil de la doctrine fiscale
socialiste, les dirigeants PS amplifient l’erreur foncière de
stratégie économique poursuivie par la France. Dans le prolongement
de Ricardo, il importe peu que les dépenses soient financées par
l’impôt ou par l’emprunt, les déficits d’aujourd’hui étant
les impôts de demain. C’est le niveau de dépenses publiques en
France – 56% du PIB, 8 points de plus que l’Allemagne, soit une
différence de 160 Md€ – qui constitue l’élément principal
d’affaiblissement de la croissance, par la substitution de dépenses
privées à forte productivité par des dépenses publiques à faible
productivité. Les effets « keynésiens » supposés de stimulation
de la croissance dus au gonflement continu des dépenses publiques
devraient placer la France en tête des champions du monde de la
croissance. On sait ce qu’il en est !
Les
mêmes causes produiront les mêmes effets sur une France qui a déjà
l’apparence d’une grande Grèce : il est plus que probable qu’une
remise en cause sous une forme ou une autre, de l’adhésion de la
France au programme européen de réduction des déficits publics,
soit dans un sens d’assouplissement du rythme de réduction des
déficits – en vertu de l’imaginaire keynésien des dirigeants
socialistes – soit par un durcissement du niveau des prélèvements
obligatoires sur les facteurs de production les plus contributifs à
la croissance, aura pour effet d’augmenter le taux d’endettement
public sur PIB. Le risque existe alors par le jeu des anticipations
des marchés qu’une administration socialiste se trouve exposée à
une augmentation significative des primes de risques sur la dette
française, se substituant ainsi aux mécanismes anciens d’écartement
des taux de change.
Un
programme PS incompatible avec l'appartenance de la France à la zone
euro
Il
importe de souligner qu’un gouvernement socialiste, n’ayant comme
l’aurait dit Chateaubriand, ni rien appris ni rien oublié, aura
tôt fait de se retrouver dans la situation de François Mitterrand
sommé de choisir après trois dévaluations du franc entre 1981 et
1983, entre une sortie du système monétaire européen (SME) et la
trahison des électeurs par la soumission aux règles européennes de
politique économique. Autant le dire ici le plus clairement du
monde, le programme socialiste est strictement incompatible avec
l’appartenance de la France à la zone euro. La France de 2012,
membre de la zone euro, est dans une situation trop fragile pour
pouvoir résister à un troisième choc socialiste, en tout cas pas
tel que le programme en est présenté au cours de cette campagne
présidentielle. Une nouvelle équipe socialiste arrivant aux
affaires en 2012 ne pourrait s’appuyer sur aucune marge de
manœuvre, celle-ci ayant fondu dans la crise endurée depuis 2008.
Les dirigeants de la zone euro ont du déployer des plans d’aide et
de restructuration d’une ampleur exceptionnelle qui font l’objet
d’accords qui ne donneront lieu à aucune renégociation : tout
l’édifice de résolution de la crise de la zone euro repose sur
l’hypothèse d’une France jouant le jeu des réformes
compétitives et de la réduction des déficits et de l’endettement.
Mais ce
que donne à voir la campagne socialiste relève surtout du champ
politique. D’une certaine manière, une grande partie des
difficultés de la France à entreprendre les réformes nécessaires
butte sur l’incapacité de la gauche française à s’affranchir
des postures révolutionnaires. Tant que l’entreprise sera soumise
à une rhétorique de lutte des classes, à une délégitimation
permanente de toute véritable accumulation financière dans son
bilan, aucun équilibre social digne de ce nom ne pourra être défini
alors que c’est une des clefs de la réussite des entreprises
allemandes. Tout ce que la gauche allemande de Willy Brandt à
Gerhard Schroeder en passant par Helmut Schmidt, a réussi à
réaliser, la gauche française de François Mitterrand à Lionel
Jospin a échoué à le faire. Pour sortir de l’alternative de la
crise européenne ou de la trahison électorale, qui dans tous les
cas débouche sur un affaiblissement supplémentaire de la politique
et pas seulement du PS – la gauche française n’est jamais
parvenue à être reconduite au pouvoir depuis 1958, ni en 1986 après
1981, ni en 1993 après 1988, ni en 2002 après 1997 – il aurait
fallu que François Hollande prît le contrôle du PS après sa
victoire aux primaires. C’est le contraire qui s’est produit et
pour éviter la discordance entre le PS et le candidat, c’est lui
qui s’est soumis à la rhétorique révolutionnaire des
socialistes. C’est la ligne « obscurantiste » qui a pris le
contrôle du candidat « réformiste », de l’arrêt des centrales
nucléaires à la taxation expiatoire des riches.
Absolutisme
politique impuissant à faire des réformes
Dans
l’immédiat, cette stratégie ne défavorise pas François Hollande
comme le montrent les sondages, jusqu’au jour où les électeurs
centristes cesseront de se reconnaître dans une posture étrangère
à leur culture politique. Et si l’antisarkozysme jouant son effet
anticyclonique en faveur du candidat socialiste lui permet de
l’emporter, c’est à nouveau au prix d’une trahison électorale
que la mue réformiste sera possible si jamais elle est entreprise.
Elle aura toujours le goût de la soumission aux réformes venues
d’ailleurs, ce qui lui donnera une légitimité bien frêle. Un
candidat Hollande imposant au PS en en prenant le contrôle, une
ligne social-démocrate, qui plus est sanctionnée par le suffrage
universel aurait délivré la gauche française de ses vieux démons,
accompli une mutation politique de première importance, et donné à
la vie politique française un tonus et un équilibre qui lui
manquent tellement. Encore une occasion manquée.
La
France d’aujourd’hui n’est pas sans rappeler celle de la fin
d’Ancien régime. La situation financière de l’Etat est assez
proche de celle de la France d’alors. La situation politique aussi
: un absolutisme politique impuissant à faire des réformes car
soumis aux titulaires de rentes. Et le risque d’aujourd’hui est
bien de voir les Français opter pour un nouveau Louis XVI, certes
conscient de voir la France courir financièrement à la banqueroute
mais impuissant à venir à bout des privilèges. Un Louis XVI coiffé
certes d’un bonnet phrygien, car croyant conjurer les périls par
une phraséologie révolutionnaire, mais entraînant le pays malgré
lui vers l’effondrement. Mais à l’âge moderne, c’est vers la
destinée de la Grèce que la France risque de se voir entrainée
faute d’entreprendre les réformes qu’imposent les périls. Pas
celle de Périclès, celle de Papandreou. La faillite pas maintenant
!
14.03.2012
Alain
Fabre, Economiste et Conseil financier d’entreprises. Diplômé de
l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, titulaire d’un Master
2 d’Etudes politiques de l’EHESS et d’un DESS de Droit bancaire
et financier, Alain Fabre a commencé sa carrière comme économiste
à la Banque de France avant de rejoindre la Caisse des Dépôts et
Consignations puis la Cie Financière Edmond de Rothschild. Il est
aujourd’hui à la tête d’une société indépendante de conseil
financier aux entreprises.
François
Hollande : un destin à la Louis XVI ?
LE
CERCLE. Le paradoxe aujourd'hui veut que l'Allemagne, pays de
consensus, soit dirigée par une figure autoritaire tandis qu'en
France, c’est l'inverse. Mais le pays est-il prêt à ce genre de
gouvernance ?
Louis
XVI, tout comme son grand-père Louis XV, eut durant son règne à
assumer les conséquences de la période faste de Louis XIV. Une
période durant laquelle le Roi-Soleil fit de la France la première
puissance européenne et accentua la centralisation du pouvoir autour
de sa personne. Autre héritage moins glorieux : une situation
financière de plus en plus précaire.
Le
règne de Louis XVI – faisant suite à la période faste des
Lumières – fut marqué par quelques réformes d'envergure comme le
droit des personnes (abolition de la torture, restriction du servage,
tolérance à l'égard des protestants) ainsi que la fiscalité avec
l'instauration d'un impôt direct égalitaire placé sous le contrôle
d'assemblées élues, et ce malgré l'opposition des privilégiés de
l'époque. Bref, des intentions parfaitement louables, mais rien n'y
fit : le roi fut définitivement renversé le 10 août 1792.
Deux
raisons expliquent à mon sens cette chute : d'une part, la situation
financière désastreuse du pays. Comme nous le voyons aujourd'hui,
les gouvernements renversés se succèdent les uns aux autres sur
fond de crise économique, quels que soient la valeur et les efforts
du pouvoir en place. Davantage que l'orientation politique, ce sont
les questions matérielles qui motivent les changements générés
par les électeurs.
D'autre
part, l'incompatibilité entre la personnalité des souverains en
place (Louis XV puis XVI) – personnages relativement humbles,
humanistes et réformateurs pour l'époque – et la charge immense
d'un État puissant, centralisateur et dominateur comme celui porté
à son apogée par Louis XIV.
François
Hollande, homme de consensus par excellence, se trouve désormais à
la tête d'un État qui, de par sa nature même, réclame poigne et
autorité afin de maintenir l'unité du pays. Peu importe ses idées,
la France a besoin pour exister d'un monarque tout-puissant à sa
tête ; un rôle que remplissait Nicolas Sarkozy à merveille et
raison pour laquelle il fut élu en 2007.
Et
c'est la raison pour laquelle la France et ses médias grondaient ces
dernières semaines, exigeant du nouveau Président de s'imposer
toujours plus et surtout de montrer sa force. Cela tient à la nature
même de l'État français et à sa structure pyramidale bien
particulière. Mais Hollande n'est pas Sarkozy. C'est un homme
d'écoute et de consensus qui aurait parfaitement eu sa place dans le
paysage politique allemand. À l'inverse, les Français rêvent-ils
sans doute d'une Angela Merkel à leur tête, une femme forte capable
de faire le ménage autour d'elle afin de préserver l'unité du
pouvoir.
Dès
1789, une des décisions de l'Assemblée constituante visant à
abolir les privilèges fut de supprimer les anciennes Provinces de
France au profit des départements, découpage administratif
arbitraire du territoire qui eut pour effet, in fine, de renforcer
davantage encore le pouvoir central. Puis vint la Terreur. Bref, il
semble bien, M. Hollande, que ce que les Français souhaitent ce
n'est pas de l'autonomie, ni des responsabilités, mais de l'autorité
et du contrôle. À bon entendeur.
Le
13 septembre 2012.
FRANCOIS
HOLLANDE EST-IL LE LOUIS XVI DE LA Ve REPUBLIQUE ?
Comme
le relève Michel Ruch dans une excellente série d’articles sur
Atlantico.fr, l’emprise idéologique à laquelle est soumise
l’Europe a bien des allures de fin de règne de l’Union
soviétique. On peut d’ailleurs couramment relier les formules de
propagande des néolibéraux à celles d’autres régimes
totalitaires. Mais la situation actuelle révèle également bien des
similitudes avec celle de l’Ancien Régime finissant.
Au
crépuscule de son règne, l’Etat royal était criblé de dettes et
ne parvenait plus à les honorer.
En
2012, la France, dit-on, vit depuis des décennies au-dessus des
moyens.
La
fiscalité d’Ancien Régime était composée d’un enchevêtrement
de taxes qui faisait porter la quasi-totalité de l’effort sur la
bourgeoisie, tandis que la féodalité maintenait dans la misère les
plus mal nés et que les nantis de l’aristocratie se voyaient
exempts d’impôts.
La
fiscalité française est un fatras de niches, d’annones et
d’impôts en tous genres qui mettent fortement à contribution les
classes moyennes et les petites entreprises pendant que les plus
riches et les multinationales peuvent « optimiser » leurs
contributions fiscales, quand ils ne décident pas tout simplement de
s’y soustraire en fuyant à l’étranger. De plus, alors que les
Trente glorieuses avaient laissé entrevoir l’espoir de voir la
pauvreté éradiquée de France, l’aboutissement logique des
Quarante piteuses néolibérales est l’explosion des inégalités
et le retour en force de la précarité pour les plus faibles.
Sous
la monarchie, la promotion sociale était quasiment absente : la
naissance décidait du rang social.
Dans
la France des années 2010, la méritocratie est mise à mal :
pour arriver au sommet des élites, quel qu’en soient les domaines
– politique, économique et même culturel –, le réseau, le
copinage et la règle de l’argent tiennent lieux de compétences
Lors
de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la généralisation de
l’’imprimerie et l’alphabétisation avait permis l’éveil des
consciences individuelles et collectives.
Au
début de ce XXIe siècle, l’explosion d’internet, des blogs et
des réseaux sociaux permettent l’émergence d’une critique
hétérodoxe et une remise en cause de la pensée unique dominante en
dehors des circuits classiques de médias souvent vendus aux plus
offrants.
La
royauté est tombée parce qu’une aristocratie enfermée dans sa
Cour versaillaise s’accrochait à ses privilèges et avait perdu
tout contact avec la réalité nue de la vie quotidienne de ses
sujets.
Qu’en
est-il aujourd’hui de l’oligarchie endogame enfermée dans ses
contre-ghettos ?
L’Ancien
Régime finissant avait vu arrivé un roi que tous s’accordaient à
décrire comme un homme affable, bricoleur à ses loisirs et bon père
de famille. La cruelle Histoire ne s’est pas accordé de son
caractère indécis et l’a écrasé sous son poids.
François
Hollande est unanimement reconnu comme sympathique, avenant,
disposant toujours d’un bon mot et cherchant en permanence le
consensus. Il y a encore quelques mois bien peu lui auraient imaginé
un destin présidentiel. La pâleur de son début de règne, son
apathie indolente face à Angela Merkel et consorts et son incapacité
à tirer les leçons de la crise systémique qui nous environne
laissent fort à penser que les Français ont porté au pouvoir un
Louis XVI républicain.
Comme
Platon, je crois, sans pour autant que cela en fasse un modèle
absolu, aux cycles de l’histoire politique. Au début était
l’anarchie, puis les hommes, las du désordre et de la loi du plus
fort qui en est le corollaire, portent au pouvoir une aristocratie
(littéralement « le gouvernement des meilleurs ») qui
rétablit l’ordre au sein de la société. Mais pour que perdure
cette aristocratie, elle doit bénéficier d’une légitimité
accordée par l’élection : c’est l’avènement de la
république. Une fois la république établie, les citoyens entendent
de plus en plus gouverner par eux-mêmes : la démocratie prend
son envol. Mais une fois celle-ci en place, les hommes croient la
liberté et la paix acquises pour toujours. Ils se détournent alors
de la « Chose publique « (Res Publica) pour se consacrer
à la jouissance de leur vie privée. Une oligarchie, pouvant prendre
diverses formes (bien souvent ploutocratique), en profite alors pour
s’accaparer le pouvoir, prétextant qu’elle le fait pour le bien
commun alors qu’elle n’agit plus que pour la conservation de ses
rentes. L’équilibre sociétale tombe peu à peu, l’injustice se
fait jour à la face de tous, la colère gronde, le désordre (celui
des marchés ?) réapparait. L’anarchie est de retour.
L’histoire
ne se répète pas. On peut parfois croire qu’elle tend à bégayer.
Mais ce qui est fort probable, c’est que les mêmes causes
produisent bien souvent les mêmes effets.
Vendredi
5 octobre 2012.
François
Hollande est-il un nouveau Louis XVI ?
Division
interne, calculs partisans, manque d'autorité... François Hollande,
à force de gérer la France comme un parti politique risque fort de
se confronter à la dure expérience qu'a vécu Louis XVI en son
temps.
De
Louis XVI, les Français ont gardé le souvenir, au demeurant
injuste, d’un bon Roi victime des événements, maltraité par
l’Histoire, emporté par une inéluctable Révolution. Et
l’historiographie marxiste, qui conteste le rôle des hommes et
croit à l’inéluctabilité des grands conflits historiques, a
nourri cette perspective finalement indulgente pour le dernier des
Capet. Le mythe de la révolution bourgeoise est au fond un hommage
posthume rendu au monarque, comme s’il avait été le jouet de
l’Histoire malgré lui.
La
réalité était tout autre : Louis XVI n’avait guère de
bienveillance pour son peuple, mais il avait vu juste sur un certain
nombre de réformes à entreprendre : réduire les pensions versées
aux nobles, réformer la fiscalité et la géographie administrative,
réformer la bureaucratie. Le mouvement des physiocrates qui le
talonnait en avait fait son fond politique : les sujets majeurs de
l’Ancien Régime s’appelaient réforme fiscale, réforme de
l’État et crise de la dette.
Ce
qui manquait à Louis XVI, c’était l’esprit de décision: quand
il entrevoyait une réforme nécessaire, il faisait un pas vers elle,
et tout de suite la somme de difficultés à affronter pour parvenir
à ses fins le faisait reculer.
Cette
indécision, qui résonnait dans l’esprit des Français comme le
signal de la faiblesse, eut raison de notre monarchie décadente.
Ainsi, en convoquant les États Généraux le 1er mai 1789, Louis XVI
eut l’intuition géniale que seule une consultation large
permettrait de surmonter les résistances à une réforme fiscale,
indispensable pour financer la dette. Mais, dans son souci de ne pas
aller trop loin, il voulut placer ces États sous l’autorité de la
noblesse qui ne représentait plus rien. Lorsque le Tiers État, lors
de la fameuse séance du Jeu de Paume, refusa ce principe, Louis XVI
céda.
Quelques
jours plus tard, il rassembla des troupes loyalistes autour de Paris
pour reprendre la situation en main. Mais le peuple prit la Bastille
pour s’armer, et Louis XVI recula à nouveau. La monarchie se
désagrégea peu à peu, à force d’atermoiements et d’indécision.
Comment
ne pas voir que la France de François Hollande se promet aux mêmes
affres ? François Hollande élu sur le principe d’une
renégociation du traité budgétaire ? Quelques semaines suffisent à
enterrer l’idée.
François
Hollande élu sur la promesse d’une réforme fiscale majeure ? La
loi de finances se limite à créer une contribution exceptionnelle
pour quelques centaines de ménage, et le reste est oublié. Avait-il
juré qu’une loi sur les licenciements boursiers protégerait les
salariés contre des patrons voyous ? Il ne reste plus qu’Arnaud
Montebourg pour défendre une forteresse fantôme où les futurs
chômeurs vérifient jour après jour l’abandon dans lequel le
gouvernement les laisse.
L’affaire
du rapport Gallois constitue, de ce point de vue, une sorte de zénith
dans la dénégation, le reniement, la velléité faite gouvernance.
Lors
de la conférence sociale de juillet, le gouvernement avait annoncé
un grand chantier sur la réforme du financement de la sécurité
sociale. Le projet avait du sens. Dans un premier temps, les experts
documentaient les différentes pistes possibles. Parallèlement,
Louis Gallois devait établir la cohérence d’un transfert de
cotisations vers l’impôt pour diminuer le coût du travail.
Rappelons clairement que cette concomitance n’a jamais fait de
doute, puisque le document de synthèse de cette conférence
présentait la remise de ce rapport comme un préalable à la
concertation qui devait rassembler, au premier trimestre 2013, les
partenaires sociaux sur l’avenir du financement de la sécurité
sociale.
Fin
septembre, le bruit commence à courir d’un transfert de
cotisations à hauteur d’environ 40 milliards, en une ou deux
années, ce qui constituerait un choc majeur pour le coût du travail
en France. Les défenseurs de cette idée jugeront qu’il s’agissait
d’un choc salutaire.
Assez
rapidement, tout le monde déchante. Le gouvernement évoque l’idée
d’un saupoudrage tel que le choc se transformerait en mesurettes
étalées sur une éternité, sans impact sur la réalité.
Il
semblerait que Louis Gallois, qui fut directeur de cabinet de
Jean-Pierre Chevènement en 1981 puis en 1988, prépare dans le même
temps un rapport favorable à un transfert de cotisations à hauteur
de 30 milliards d’euros vers l’impôt. Précisément l’arbitrage
dont nombre de députés socialistes semblent ne pas vouloir, pour
des raisons tout à fait idéologiques.
Résultat
? Les petites phrases fusent, qui annoncent déjà une mise à
l’écart d’un rapport dont le gouvernement avait pourtant fait
grand cas. Les dégâts causés par ce reniement risquent d’être
cataclysmiques : après avoir fait l’apologie d’une méthode
fondée sur la concertation, présentée comme une rupture avec l’ère
Sarkozy, le système Hollande n’aura pas mis six mois à reprendre
des pratiques anciennes : les discussions en vase clos, et le silence
arrogant opposé à toute pensée alternative.
Ces
circonvolutions donnent l’impression d’être une méthode de
gouvernement. Un jour, un ministre prône la dépénalisation du
cannabis, le lendemain, le Premier Ministre lui cloue le bec, et une
semaine plus tard, la ministre de la Santé se réjouit
d’expérimentations en centres ouverts. Qui peut comprendre la
ligne officielle du gouvernement?
Le
petit monde socialiste imagine qu’après tout, le pays peut bien
être dirigé comme le parti lui-même : dans les luttes de clan, les
reniements, les coups fourrés, les calculs partisans à trois
balles, et l’esprit de vengeance. Il n’est vraiment pas certain
que cette conviction soit fondée, car un pays, qui plus est la
France, ne se manie pas comme un parti. Il lui faut de la vision, de
la grandeur, des certitudes et des valeurs respectées.
Faute
d’obéir à cette règle, le gouvernement risque bien de faire la
dure expérience que vécut la monarchie en son temps : celle d’une
division interne, d’une incapacité à réagir faute d’autorité,
d’un lent engloutissement dans la férocité de l’histoire.
Je
le sais... Tout le monde constate le calme de l’opinion publique.
Relisons les journaux de mars 1968, et nous y trouverons la même
torpeur.
Éric
Verhaeghe (1)
Eternel
recommencement
Publié
le 23 octobre 2012 - Mis à jour le 14 novembre 2012
(1)
Éric Verhaeghe est l'ancien Président de l'APEC (l'Association pour
l'emploi des cadres) et auteur de Faut-il quitter la France ?
(Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr
Diplômé de l'ENA (promotion
Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un DEA
d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.
François
Hollande, Louis XVI et l'horloge
Hollande
sera-t-il le Louis XVI de la République ?
Ainsi,
François Hollande est le seizième dirigeant français depuis la fin
de la deuxième guerre mondiale. Il suggère irrésistiblement Louis
XVI. Le même côté rondouillard, indécis, généreux mais naïf,
le rappelle fortement. Fini le candidat svelte et amaigri plus viril,
l’embonpoint discret et les circonvolutions savantes sont vite
revenus.
Déjà,
la difficulté à mettre en place des réformes est évidente. Les
premières mesures Ayrault font penser à la succession de Turgot,
Necker, Calonne Brienne, autant d’échecs qui ont donné la
Révolution Française.
Les
appareils politiques des deux clans sont deux coquilles vides sans
projet, gérées par des employés aux écritures, objet de querelles
de domestiques, de petits roquets ou de nourrices s’essayant à la
politique, d’intrigues de cour aux relents de sexe ou d’argent,
ou des deux. C’est tout juste si l’attribution d’un bureau ou
d’un fauteuil ne donne pas lieu à débat public.
Comme
à la période de Louis XVI, toutes ces élites sont engoncées dans
les rites d’un ancien régime qui ne veut plus rien dire,
complètement décalé avec la société contemporaine, sans aucun
sens pour les nouvelles générations. Le temple de ces élites,
Sciences Po, révèle à son tour ses intrigues, ses lézardes, sa
décadence, malgré tous les efforts de son aristocratie pour en
dissimuler les turpitudes. Les élèves de l’ENA ne craignent plus
de sourire ouvertement de leur enseignement abscons. Nos meilleurs
éléments scientifiques partent depuis longtemps travailler sous
d’autres cieux, jalousés, incompris ou soucieux de simplement
travailler.
Nos
parlementaires et ministres mènent un train de vie fastueux,
indécent en temps de crise, tant dans les endroits où ils
travaillent, que dans la rémunération de leur entourage ou le
nombre de personnes à leur service. La contagion a gagné les
collectivités territoriales où chaque baron local se laisse aller
aux faveurs, aux parrains, aux largesses complices, aux recrutements
d’amis voire de parents, avec des méthodes elles aussi révolues,
dans l’augmentation sans fin d’impôts locaux devenus
astronomiques pour le peuple laborieux qui crée la richesse de la
Nation.
Il
ne se passe pas un mois depuis plus de trente ans, depuis trois
livres, « le mal français », « le désert français » ou « les
exclus », sans qu’un ouvrage ne soit publié pour dénoncer la
dérive profonde de notre pays, éternel enfant gâté de moins en
moins éternel.
Notre
système institutionnel a bloqué la pendule sur l’heure qui lui
convenait, pour différer éternellement l’addition. Elle arrive.
On confond souvent révolution, révolte et émeute. La révolution,
c’est simplement le mouvement du soleil, d’une horloge, et elle
est bloquée dans notre pays. La révolte, c’est se retourner pour
faire face, pour résoudre un conflit ou un problème, c’est donc
la réforme. L’émeute, c’est la force nécessaire pour débloquer
les choses si une révolte ne permet pas de laisser la révolution
naturelle se faire..
Au
pouvoir de décider… Il ne lui reste que très peu de temps. Ah !
oui ! au fait…Louis XVI aimait les horloges… Il parait qu’il y
en a beaucoup à l’Elysée.
Ludovic
Grangeon , Partenaire fondateur de « Parménide », samedi 24
novembre 2012.
Louis
XVI, les sans-culottes et François Hollande
La
politique française ne se comprend pas si l’on omet la présence
familière de l’histoire comme décor permanent. Le débat
politique se comprend moins encore si l’on n’intègre pas le
poids constant, voire envahissant de notre mythologie historique.
Cette historicisation de la politique ne constitue certes pas un
monopole français mais son intensité représente bel et bien une
spécificité tricolore. Rien ne distrait et ne divertit autant les
observateurs étrangers que l’instrumentalisation ardente des dates
célèbres, des épisodes fameux, des personnages symboliques.
Nous
venons d’en avoir encore tout récemment deux illustrations
curieusement complémentaires. Jean-Luc Mélenchon a choisi de
comparer François Hollande à Louis XVI pour définir sa politique.
Au lendemain de la diatribe d’Arnaud Montebourg contre le groupe
Mittal, le maire de Londres, Boris Johnson, un conservateur
extravagant, s’est écrié : «Je vois que les sans-culottes
semblent s’être emparés du gouvernement à Paris.» Les images
d’Epinal ont la vie dure.
L’aimable
dirigeant du Parti de gauche a voulu accabler François Hollande en
l’identifiant à un monarque qui passait pour faible, passif et
myope.
Le
lord-maire de la capitale britannique a voulu discréditer le
gouvernement français et en particulier son capitaine Fracasse en
les affublant d’un pantalon grossier, d’une carmagnole, de
sabots, d’une pique vengeresse et d’un bonnet rouge à cocarde
tricolore afin d’épouvanter les investisseurs étrangers.
Deux
références pittoresques à la Révolution, fondatrice de la
république, deux lourds contresens politiques. François Hollande
n’est pas faible, il est habile ; il n’est pas passif mais au
contraire décidé ; il n’est pas myope mais presbyte. Quant au
gouvernement, il apparaît plus girondin qu’enragé.
Jean-Luc
Mélenchon se trompe du tout au tout sur François Hollande. Il croit
ou il feint de croire que le chef de l’Etat se laisse ballotter par
les événements et plie l’échine face aux forces du marché, aux
investisseurs et aux financiers. De plus, il lui conteste toute
envergure en lui plaquant l’image du malheureux Louis XVI qui
passait pour un brave homme plutôt ouvert mais assez court.
Récidive, puisque tel était aussi le message implicite du fameux
«capitaine de pédalo». Mélenchon sous-estime systématiquement
tous ceux qui ne partagent pas ses tonitruants avis. François
Hollande est devenu sa cible favorite. C’est aussi la moins bien
choisie.
Parce
qu’il est affable, ductile, souple et gai, François Hollande a
très souvent été considéré comme un personnage de second rang, y
compris par plus d’un membre de son gouvernement actuel. Ses
détracteurs auraient dû se demander pourquoi, depuis le début même
de ses études, il s’est imposé presque naturellement comme le
leader des groupes successifs auxquels il a appartenu. Ils auraient
dû s’interroger sur les ressorts de sa combativité et de son
opiniâtreté tout au long de l’interminable campagne
présidentielle. Ils auraient surtout dû comprendre que s’il use
et abuse des jongleries et des roueries, il n’en sait pas moins ce
qu’il veut.
Pour
aller à l’essentiel, ce que Jean-Luc Mélenchon croit être des
renoncements, des fléchissements et des génuflexions sont en
réalité des convictions et des choix qui remontent à très loin.
Le réalisme, le pragmatisme, voire la ruse constitue une idéologie
aussi cohérente, aussi structurée et aussi estimable que le bruit,
la fureur et l’excommunication.
Quant
au gouvernement des sans-culottes, humour britannique à part, c’est
le fruit d’une imagination aussi cocasse qu’absurde. Jean-Marc
Ayrault présente le profil raisonnable et pondéré d’un
social-démocrate typique, parfois maladroit, souvent décidé,
parfois accablé, souvent autoritaire. Il faut beaucoup d’imagination
ou d’ignorance pour en faire un Marat, un Babeuf ou un Hébert.
Quant à la ligne de son gouvernement, elle relève du social
-libéralisme le plus classique : engagement européen énergique,
diminution des déficits au pas de course, volonté de réduire les
dépenses publiques, pacte de compétitivité, le tout humanisé par
des réformes en faveur des jeunes, de l’égalité hommes-femmes et
par les drapeaux délibérément agités (mariage et adoption pour
les homosexuels, réflexions sur la fin de vie, engagement de mettre
fin au cumul des mandats, introduction de la proportionnelle…).
C’est toute la panoplie de la social-démocratie en temps de crise
ou du social-ibéralisme débutant. On apprécie ou on n’apprécie
pas mais il faut réellement être Boris Johnson pour faire de ce
gouvernement un épouvantail et Jean-Luc Mélenchon pour rêver de
voir François Hollande fuir à Varennes. Et Montebourg ? Eh bien, il
y a toujours un ministre qui détonne.
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décembre 2012 à 19:06
Par
ALAIN DUHAMEL